Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/63

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coucher. Le lendemain, Hipparque me demande où j’avais dessein d’aller et combien de jours je devais rester chez lui. « Je vais, lui dis-je, à Larisse, et je compte partir d’ici dans quatre ou cinq jours. »

4. Mais c’était une feinte : je désirais vivement y rester afin de trouver quelque magicienne savante dans l’art des prodiges, qui me fît voir quelque chose d’étrange, comme un homme volant ou changé en pierre. L’esprit plein du désir de voir ce spectacle, j’allais par la ville sans savoir trop comment m’y prendre, mais j’allais, quand j’aperçois devant moi une femme jeune encore et riche, à en juger par son train : atours fleuris, nombreux esclaves, de l’or partout. Arrivés en face l’un de l’autre, elle me salue, je lui rends son salut, et elle me dit : « Je suis Abréa, une des meilleures amies de ta mère, ainsi que tu le sais sans doute, et qui vous aime tous, vous ses enfants, comme si vous étiez les miens. Que ne viens-tu, mon fils, demeurer chez moi ? — Grand merci, lui dis-je, c’est trop de grâce ; mais je craindrais, n’ayant nul reproche à lui faire, de quitter la maison de l’ami qui m’a reçu. Seulement, de volonté je demeure à vous, ma chère. — Où loges-tu donc ? me dit-elle. — Chez Hipparque. — Quoi ! chez cet avare ! — Ah ! mère, n’en parlez pas ainsi. Il a été somptueux et magnifique envers moi, et je n’ai à me plaindre que de sa bonne chère. » Mais elle, avec un sourire et me prenant la main pour me tirer à l’écart : « Défie-toi, par tout moyen, de la femme d’Hipparque ; c’est une terrible magicienne, une libertine qui jette un œil de convoitise sur tous les jeunes gens. Ceux qui ne font pas à sa guise, elle s’en venge par son art ; elle en a changé plusieurs en bêtes, et en a fait périr beaucoup d’autres. Tu es jeune, mon enfant, ayant une tournure faite pour lui plaire, et, de plus, étranger, chose dont on peut s’amuser sans risque. »

5. Comprenant que ce que je cherchais depuis longtemps était à la maison, je ne l’écoute pas davantage ; et sitôt que je puis la quitter, je retourne au logis, me disant en route : « Or çà, tu disais que tu voulais voir de l’extraordinaire : éveille-toi donc et trouve quelque bonne invention pour arriver à tes fins. Fais ta cour à la servante Palestra : car la femme de ton hôte et ami, tu dois la respecter. En caressant la servante, en t’exerçant avec elle, en l’étreignant, tu sauras facilement ce que tu veux savoir. Les esclaves connaissent toujours le bon et le mauvais de leurs maîtres. » En me parlant ainsi, j’arrive à la maison. Je n’y trouve ni Hipparque, ni sa femme. Palestra seule était auprès du feu, occupée à nous préparer le souper.