Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/67

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force enfin, convaincu que je ne dormais pas, je priai Palestra de me faire pousser des ailes en me frottant de cet onguent, et de me donner la volée. Je voulais éprouver si, étant changé en oiseau, la métamorphose s’étendrait jusqu’à l’âme. Elle ouvre doucement la chambre et m’apporte une boîte. Je me hâte de me déshabiller, je me frotte des pieds à la tête ; mais, malheureux que je suis ! ce n’est pas en oiseau que je me change : une queue me vient au derrière, mes doigts s’en vont, mes ongles se réduisent à quatre et ne sont plus que sabots ; mes pieds et mes mains deviennent pattes d’animal avec longues oreilles et large face ; enfin, en me regardant de tous points, je vois que je suis un âne, n’ayant pas même voix d’homme pour faire des reproches à Palestra. J’allonge ma lèvre inférieure ; et mon attitude même, mes regards en dessous, à la manière d’un âne, l’accusent de m’avoir ainsi métamorphosé, au lieu de me changer en oiseau.

14. Mais elle, se frappant le visage de ses deux mains : « Malheureuse, s’écrie-t-elle, quelle étourderie j’ai commise ! En allant trop vite, j’ai été trompée par la ressemblance des boîtes ; j’en ai pris une autre que celle qui fait pousser des ailes. Pourtant console-toi, mon cher : le remède n’est pas difficile : tu n’as qu’à manger des roses, la bête disparaîtra, et tu me rendras mon amant. Reste cette nuit seulement sous cette peau d’âne ; demain, dès la pointe du jour, j’accourrai t’apporter des roses, tu en mangeras et seras guéri. » Ce disant, elle me passait la main sur les oreilles et sur le reste du corps.

15. J’avais donc bien toute l’encolure d’un âne ; mais, quant à l’esprit, j’étais encore homme, le même Lucius, à la voix près. Cependant, tout en faisant au dedans de moi mille reproches à Palestra sur son étourderie, et me mordant les lèvres, je m’en vais à l’endroit où je savais qu’était mon cheval et un autre âne véritable, appartenant à Hipparque. Dès qu’ils me voient entrer, ils craignent que je ne vienne partager leur foin, et, baissant les oreilles, ils s’apprêtent à défendre, à coups de pieds, la cause de leur estomac. Je m’en aperçois, et je me retire dans un coin de l’écurie, riant de bon cœur ; mais mon rire était un vrai braire. Alors je me dis à part moi : « Ô fatale curiosité ! Que ferais-je, s’il survenait un loup ou quelque autre bête carnassière ? Je cours le risque, innocent que je suis, d’être mis en pièces. » Telles étaient mes réflexions ; et je ne prévoyais pas, malheureux, le sort dont j’étais menacé.

16. La nuit était avancée ; partout régnait un profond silence, partout le doux sommeil, quand tout à coup le muraille retentit au dehors, comme si l’on eût voulu la percer ; et de fait on la