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LA FIN DE RABEVEL

sûre, la plus éperduement dévouée et la moins compromettante qui pût être. Il l’accompagnait dans ses courses, aux expositions, chien fidèle, drôlatique et constamment en alarme devant l’objet de son admiration. Bernard le trouva trois soirs de suite en rentrant chez lui ; impatienté, fatigué d’une longue journée de travail, irrité de ce que sa femme ne le fût pas venu rejoindre au bureau, il feignit de croire à autre chose qu’à une simple camaraderie, fit une scène terrible, ameuta les domestiques et jeta le poète dehors par les épaules. Resté seul avec sa femme, il évoqua le divorce, lui souhaita le bonsoir d’une voix glacée et sortit. « Je la tiens, ma dispute, se disait-il ; elle va vivre, réagir, bon Dieu ! » Quand il revint, Reine était couchée en proie à la fièvre ; elle fut malade comme une bête ; on pensa qu’elle ne s’en remettrait point. Elle pleurait, suppliait ainsi qu’un chien battu et qui ne sait pourquoi ; et ces supplications, comme il arrive, irritaient davantage son mari, lui imposant, pour qu’il pût se contenir, un effort qui lui causait un insupportable malaise. Quand elle alla mieux, il voulut faire renaître sa confiance, lui dit qu’elle pouvait rappeler l’Apollon. Mais elle eut encore une crise de désespoir et il dut l’amener lui-même, impavide et protecteur, au pied du lit de Reine. Il comprit, ce jour là, qu’ils n’étaient point faits pour s’accorder. Il reprit auprès de sa femme l’attitude d’un grand frère indulgent, fut son mari sans dégoût ni plaisir lorsqu’il le fallait, vécut sevré de la femme telle que la bouche