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LE MAL DES ARDENTS

qui venait de rentrer avec Angèle. « Oui, je suis bien heureux, lui avait-il dit, j’ai connu, dans ma jeunesse, tant de coquettes et de soi-disant amoureuses qui ne savent pas ce que c’est que l’amour ! à qui il suffit de quelques années d’absence ou de quelques mots d’un curé pour renoncer sans regret aux douceurs du cœur ! Tu n’es pas ainsi, toi, n’est-ce pas, Reine ? » La jeune femme disait non et le croyait ; elle était heureuse, elle riait aux anges. « Ah ! un bon ménage ! » concluait le père Mauléon convaincu. « Oui, un ménage comme on en voit peu. » Angèle excédée et muette arpentait le parquet, ne tenait plus en place, filait soudain dans sa chambre, donnait libre cours à son égarement, répétant mille fois en grinçant des dents : « Ah ! ce qu’ils m’agacent ! ce qu’ils m’agacent ! » sans se préciser ce ils même pour elle seule, et finissait par s’écrouler anéantie, à bout de nerfs et de forces, dans quelque fauteuil.

Quand arriva l’heure de quitter Paris, ce départ lui fut un désespoir et un soulagement ; elle ne put dormir pendant toute cette nuit que dura le voyage ; elle ne cessa d’égrener son chapelet. Dès le lendemain de son arrivée à la Commanderie, elle s’imposa la fatigue d’aller à pied jusqu’à Bellecombe à sept kilomètres de là ; elle raconta en toute humilité au Père Blinkine les affres où elle se débattait. Le confesseur l’écouta avec patience mais il s’épouvantait en silence ; l’incurabilité de la vieille blessure si prompte à se rouvrir, à étaler de nouveau tant de venimeuses gangrènes génératrices de toutes les puanteurs prochaines du