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LE MAL DES ARDENTS

concurrents. Tu as voulu les délices de la chair, celle de l’esprit, tu les as eues toutes à ton gré. Ne sens-tu pas pourtant combien tout ce que tu as obtenu est vide ?

— Hélas ! s’écria Bernard. Si ! Je ne le sens que trop ! Mais ce qui me manque à moi, c’est Angèle. Voilà le nom de ma déficience. Tu me méprises ? Mais dis-moi donc un mot, un seul mot, Abraham, toi qui es le fils de la race qui a toujours aimé avant tout la justice dans le Seigneur. Dis-moi s’il est juste que je souffre sans savoir pour qui ? et s’il serait juste que je cherche partout en m’humiliant et en pleurant, et toujours vainement, le remède à cette déficience ?

— Le problème du mal, répondit Blinkine, toujours le problème du mal. Pourquoi se noie-t-on en tombant dans la mer ? pourquoi s’écorche-t-on les genoux en tombant dans les rochers ? Veux-tu la solution métaphysique du problème ?

— Eh ! non, fit Bernard, je la connais ; elle satisfait mon intelligence ; ce n’est pas sur elle qu’échouerait ma foi ; elle échoue sur la vanité de mes efforts. Avoue que si la guerre éclatait, ta foi chancellerait en ce Dieu bon ? Non ? Tu le crois ; je te connais, Abraham. Eh ! bien, j’ai constamment la guerre en moi ; j’ai douté, j’ai tremblé ; jamais la grâce que je sollicitais de toute ma ferveur ne m’est venue secourir…

— « Abêtissez-vous, faites dire des messes… »

— Je sais, Abraham. Mais je ne suis pas Pascal : ce n’est