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LE MAL DES ARDENTS

cette allure de doctrine assurée et tranquille qui ne s’inquiétait point de prosélytisme ni de persécution, assurée de détenir la vérité dans l’ordre économique et financier. Par un mimétisme qui était bien dans sa nature, Fougnasse s’y était mis assez rapidement, et, depuis quelques jours, Bernard lui avait laissé la charge de l’éditorial, n’avait plus rien à corriger à ses brouillons ; le ton digne, mesuré, attentif était bien ce qui devait plaire ; le rédacteur inconnu (car l’éditorial n’était point signé) prenait les événements du jour, les analysait, y discriminait les motifs d’influence bonne et mauvaise sur le marché ; jamais de prédictions tranchées absolument ; des conclusions intelligentes, mais formulées avec une réserve telle que, quel que fût l’événement ultérieur, le Conseiller pût écrire, sans forfanterie et comme en passant : « Nous l’avions bien dit », ajoutant selon le cas : « Comme nous l’avions, en effet, donné à espérer… » ou « les conséquences malheureuses et généralement imprévues dans la presse, mais contre lesquelles nous avions mis en garde nos lecteurs, seuls au milieu de l’optimisme universel… » Ce style prudent, cette démarche opportuniste si bien accordés au caractère de la bourgeoisie moyenne française, Bernard avait eu bien du mal à lui donner sa forme ; il se rendait bien compte qu’il lui devait en grosse partie son succès. Mais ce succès n’aurait pas été si rapide sans son invention de L’Œil et de la Tribune Libre. Il rendait grâce maintenant à l’insomnie qui lui avait offert en cadeau cette idée magnifique au