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LE FINANCIER RABEVEL

représentant d’une maladie fort commune et mal connue encore ? » — « Laquelle ? » fit Bernard. — « Le Mal des Ardents, répondit le Père, nom poétique d’une bien terrible diathèse comme dirait Monsieur Charcot ». — « Eh ! eh ! dit Bernard, nom fort explicite et qui me révélerait à moi-même si je m’ignorais. Mais ce n’est pas une maladie, mon Père, puisque, loin de contredire à l’action et à la volonté de mon tempérament, elle l’exalte et l’épanouit. » — « Elle l’use, Bernard, et elle vous dégrade. Mais ce n’est pas le moment encore de vous entreprendre ; il faut que cette machine infatigable jette ses flammes. Que de péchés à commettre, que de mauvaises actions avant le repentir ! Dieu veuille que vous viviez assez pour ne point mourir dans l’impénitence finale. » Bernard constata sans surprise mais tout de même avec un peu de regret, que ce langage ne l’émouvait point. Mais il vit aussi que le Père ne cherchait pas à l’émouvoir. « Songez, reprit le Jésuite, à ce que vous êtes devenu. Comme une éponge pressée se vide d’eau, vous vous êtes vidé de Dieu. Il n’est plus possible que vous croyiez encore à tout ce qui nous dépasse. Sans doute avez-vous eu encore des réflexes, mais ces gestes sans chaleur étaient la preuve même de la mort de vos sentiments religieux. Vous voilà libre, délivré de toute transcendance : ces terribles mains sont prêtes pour livrer vous et les autres à tous les crimes qu’interdisent Dieu et l’Église ; et même à ceux que punit la Société si vous y trouvez plaisir ou profit ; quelle extraordinaire existence vous allez mener !