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LE FINANCIER RABEVEL

gardent les bêtes d’une grande ferme ; d’autres celles de tout un hameau et enfin quelques-uns leur propre troupeau. Mais tous les Rouergats dans leur jeunesse accompagnent un berger. Rien de plus difficile que ce métier. Il faut naître berger. Un proverbe d’ici prétend que seuls les enfants du vent qui souffle au printemps et à l’automne font de bons bergers.

— Curieux, dit Bernard.

— Oui ; une vocation. Certains ne quittent plus ce métier dès qu’ils y ont goûté. D’autres, après deux saisons, ont besoin d’y revenir ; on dirait qu’ils ont laissé leur cœur là-bas. Ils viennent vous trouver un beau jour pour boire le coup de l’amitié, couverts du manteau blanc rayé de rouge… On croirait qu’il y a un sort sur eux…

— Et comment sont-ils vus dans le pays ?

— On les juge un peu fous. Mais quand ils reviennent de là-bas, ils racontent à la veillée des histoires. Des histoires qu’ils ont rêvées, bien sûr, et qui émerveillent les gosses. Mais les hommes qui ont passé par le métier les écoutent aussi. Ils sont devenus autre chose, couteliers, cloutiers, sabotiers, buronniers, ils gagnent mieux leur vie. Mais à ce moment-là on sent bien qu’ils regrettent, allez ; ils envient les bergers.

— Quelle grandeur », dit Bernard. Il regarda autour de lui ; une quinzaine de maisons semblables à celle des Mauléon se groupaient dans l’enceinte de la Commanderie.