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LE FINANCIER RABEVEL

À ce moment les chevaux étaient au pas, montant une côte. Le cocher sauta à terre immédiatement, cala les roues ramassa le jeune homme qui ouvrait les yeux. « Un peu étourdi seulement ? rien nulle part ? marchez un peu, pour voir. » La pluie qui le cinglait le réveilla tout à fait. Il se sentait de nouveau dispos, revenant de loin : «  Cet idiot m’a sauvé la vie » se dit-il. « Vous dormiez sans doute ? demanda le brave homme : voilà comment les accidents arrivent. Vous seriez tombé dans la descente de Pézés, vous rouliez sous la roue et, de là, dans le ravin. Et le papa Binoche aurait fait connaissance avec les gendarmes. C’est comme ça ! » Bernard le regarda d’une manière singulière : c’était vrai cela ; le bonhomme répétait, un peu ahuri de ce regard : « C’est comme ça ». Alors le jeune homme tira de sa poche son portefeuille et lui remit un billet de cent francs. Le cocher changea de couleur, crut qu’il avait mal interprété ses paroles, refusa le présent. « Quoi, dit Bernard en gouaillant, tu veux dire que ma vie ne représente pas cent francs ?

— « Ah ! si c’est ainsi, fit l’autre, ça va bien ». Et il serra soigneusement le papier dans une triple bourse compliquée de boucles, de tirettes et de cordons.

Bernard remonta en voiture. Il était tout à fait remis : vraiment ce choc énergique lui avait fait du bien. Il rêva un moment ; il se sentait peu de chose : « … Un grain de sable, une vapeur suffisent. » Il osa s’avouer que peut-être à cette heure la mort eût été préférable. Certes il se sentait