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LE MAL DES ARDENTS

mois. À moins qu’il n’aie vraiment trouvé sa voie. Après tout, c’est peut-être un Spinoza.

Ils se quittèrent assez peu satisfaits l’un de l’autre, Bernard alla dîner chez Noë, mais rien ne le pouvait plus distraire. Il ne vivait plus. Les images liées de François et d’Angèle le torturaient et le faisaient passer par tous les tourments de la colère et du chagrin.

À quelques jours de là, le cinq Février exactement, il était demeuré chez lui, toute la journée à cuver son exaltation. Cette vision d’Angèle aux bras de François, qui pourrissait sa vie, lui était plus que jamais présente. Encore las, l’âme pleine de dégoût et de rancœur, dans une disposition d’esprit effroyablement favorable aux pires décisions, il ressassait, pour la millième fois, les griefs qu’il croyait avoir contre sa maîtresse, quand le valet de chambre entra et lui remit la carte de la jeune femme. Il la retourna un instant, et comme hébété, dans sa main. Il lui fallut se ressaisir pour prendre conscience de lui-même. Il lui semblait que son attention dispersée n’était plus qu’une ondulation dont le mouvement plongeait au fond de sa mémoire et rapportait aux sommets de sa vie psychique les épreuves d’un beau destin. Consciente ou sournoise, acceptée ou tolérée, implorée quelquefois, il n’oubliait point que l’image chérie avait toujours fini par s’imposer. Elle lui interdisait tout travail. Elle empoisonnait d’un souffle parfumé les adhésions de son être aux travaux qui sollicitaient son activité. Elle gonflait de colère les élans de sa sensibilité.