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LE MAL DES ARDENTS

venue du noir. Il sentait au fond de lui quelque chose de sombre, sur quoi se perchait son âme, vainement. Quoi ?

— Ah ! du remords, du désir, de l’incertitude insatiables et l’abomination d’une peine affreuse qui s’exprimait vaguement sans s’expliquer. N’avait-il pas suivi clairement son sentiment ? Le nom d’Angèle revenait sur ses lèvres. Il le prononçait d’un souffle, sans lui donner la couleur de la voix, avec une horreur sacrée. Où était le mal ? où était le bien ? Pourquoi était-il persécuté d’avoir agi comme il en ressentait l’invitation impérieuse ? Il lui semblait pourtant si facile de vivre simplement ! N’était-ce point la vraie loi, de se donner à ses instincts, de leur appartenir, afin qu’à leur gré, la vie nous formât et nous pétrit, nous donnât la suprême joie qu’elle porte en soi par son élaboration même et son parfait accomplissement ?

Quelle sourde aigreur, quelle rage, quel inassouvissement agitaient Bernard ; lui, si plein de bonne volonté… Tout le long de son existence il s’était contenté de vivre sans complication, bonnement, sa seule initiative étant de chercher dans les domaines qui lui paraissaient le plus accueillants, la trace de cette vie qu’il aimait, pour s’animer davantage. Jamais il n’avait connu l’hésitation et le regret si ce n’est tempérés des promesses de l’avenir magnifique. Et maintenant il était assailli des doutes qui lui paraîssaient auparavant réservés aux scrupuleux. Pis que cela, hélas ! une ronde de remords le rongeait sans se nommer et ces ennemis invisibles lui apparaissaient, il se l’avouait avec une colère