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LE MAL DES ARDENTS

— Oui, Bernard, tu ne peux pas savoir combien je suis heureux.

— Si, je connais ça. Seulement ça ne dure point. Quand on est sincère on plaque tout là, fortune, amis, situation ; on prend le froc et on consacre sa vie à la pénitence et à la conversion des autres.

— J’y pense, dit simplement Abraham.

— Eh bien ! répondit Bernard en riant, quand tu seras décidé, tu me donneras ta fortune et je te donnerai mon âme en échange.

Il réfléchit une seconde ; tout d’un coup, il venait de trouver : « En attendant, je te dis sérieusement une chose sérieuse : Ne t’avise pas de conduire ici le Père Régard ni de faire toi-même de la morale à Angèle, car cela tournerait mal. Que ce soit bien compris, n’est-ce pas ? »

Abraham ne répondit pas. « Tu m’entends ? » insista Bernard. Alors l’autre : « J’ai idée que nous pourrons nous arranger un jour. Ne disons rien de définitif, veux-tu ? »

Il était presque suppliant. Bernard réprima un sourire victorieux et s’en alla. « Véritablement, la religion rend idiot », se disait-il en descendant l’escalier. Il dîna sobrement et rentra chez lui toujours songeant à ses affaires. Comment attaquer ses adversaires sur le flanc Bordes ? Il fallait agir avec prudence, ne pas donner l’éveil. Vingt combinaisons se présentèrent, dans son imagination créatrice, qu’il écarta ; toutes à un moment de leur développement se révélaient impraticables ; l’attaque, la mise en