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LE MAL DES ARDENTS

La tâche d’éduquer l’humanité est la plus lourde et la plus ingrate. Faut-il donc douter du progrès ? Autrefois, ton père, comme toi, poussait le riflard en chantant Lisette. Mais il avait à peine désserré le valet et rangé les outils qu’il prenait, pour les dévorer, tous les ouvrages des émancipateurs.

— Il le fait encore, remarqua le jeune homme comme pour lui-même. Mais nous le faisons aussi, Maître Lazare. Moi, évidemment, je suis encore un peu jeune vous comprenez ; j’en suis toujours à revenir aux livres moins secs.

— Oui, dit le maître en lui prenant affectueusement le bras, je sais bien que le sang des faubourgs ne ment pas. Va, tu peux lire les poëtes, ils ne sont pas les ennemis de la République, nous ne l’ignorons pas, quoi qu’en dise Platon.

Il ferma à demi les yeux et sourit à sa vision. C’était là, tout à côté, que, près de lui, Lamartine… Depuis, il y avait eu l’Usurpateur, puis, la défaite, la Commune… Cette belle Commune qui avait pourtant, de l’Hôtel de Ville, laissé les ruines fumantes… Bah ! songeait Lazare, crise de croissance. Et Noë qui rêvait aussi disait, tout doucement, avec amour :

Ainsi, toujours poussé vers de nouveaux rivages…

— Le progrès, Noë, le progrès, murmura le maître. Il se pencha vers l’enfant qui avait ôté son capuchon et son béret. Sa main dégagea des boucles un beau front lumineux