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LA JEUNESSE DE RABEVEL

— En tous cas leurs enfants parleront français : ils seront Français. » Mais la calèche de Bansperger passait encore contre lui, il fit un pas de côté pour l’éviter.

— Je rêve debout et éveillé, ça n’est pas ordinaire, grommela-t-il, et je radote. J’ai le comprenoir mal affûté ce matin, faudra donner de la voie.

Pourtant, se rappelant encore l’incident du chemin, comme la réflexion de son neveu lui revenait à la mémoire, de nouveau il se sentit pincé au cœur.

— Si nous n’avons que cette graine pour reprendre l’Alsace.

Le père Lazare interrogeait justement l’enfant ; debout, d’une voix nette et tranquille, son beau visage mat sous les boucles brunes tourné vers le maître, le petit Rabevel répondait sans l’ombre de timidité ni d’arrogance.

— Il est né bon, se disait le maître, il est évidemment né bon comme tous les êtres, mais il a dû être mal conduit… Un enfant élevé sans père ni mère. Pourtant ses oncles sont de si braves gens.

L’enfant se rassit. Il n’avait pas eu un regard pour ses voisins. Il examinait la grande salle, les murs recouverts d’images pédagogiques, les tableaux luisants comme des eaux profondes au bord des rives de craie, les rayons chargés de livres qui recélaient un formidable inconnu et enfin ce maître jugé quelques minutes auparavant sans indulgence et où déjà il devinait une puissance. Puissance encore occulte, amie ou ennemie, il ne savait ; il ne se le