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LA JEUNESSE DE RABEVEL

de fer et d’un geste tout naturel habituel à tous les voyageurs lorsqu’ils veulent lire les chiffres minuscules de ce barème, s’approcha de la lampe ; ses cheveux la touchaient presque et son visage apparaissait en pleine lumière. Le cri étouffé qu’il espérait jaillit aussitôt. Il regarda celle qui l’avait poussé et fit un geste de stupeur. Puis ils restèrent tous deux silencieux tandis qu’il tombait sur la banquette, pâle soudain et réellement saisi, en portant la main à la gorge commune s’il étouffait. Elle réprima un élan, tant cette chair lui était irrésistiblement parente ; il râla un peu, défit son col, la regarda d’un air de détresse infinie mélangé d’un muet reproche. Il dit enfin : « Excusez-moi ; voici, pour la seconde fois, une prise de contact bien ridicule ». Elle se raidit contre l’émotion bienheureuse que lui versait cette voix, son orgueil la dressa, méprisante et amère : « Je vous défends de me parler, dit-elle, je ne vous connais plus ». Mais elle souhaitait ardemment qu’il continuât, que ce timbre résonnât encore à son oreille ; tout lui était égal, et François, et la vie, pourvu que Bernard vint enfin lui révéler la cause de son malheur, de sa trahison, et rompre son inexplicable silence. Mais lui, il semblait se parler à lui-même ; il la regarda et elle détourna la tête ; alors il eut un geste plein de lassitude qui signifiait : « À quoi bon ! » et sa détresse la remua, afflua en elle-même comme une lame marine : tout l’échafaudage de sentiments, de faits, de paroles et d’espoirs du dernier mois, croula dans cette vague, s’évanouit comme dissous ; il ne restait que