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LE MAL DES ARDENTS

de la pièce un logement austère et triste. Il monta sur une chaise, poussa la tabatière. La grande cour intérieure était noire comme un tombeau. Un arbre magnifique et solitaire achevait d’y mourir et la lumière qui veillait encore dans quelques appartements venait se perdre dans ses plus hautes frondaisons comme avidement absorbée. L’enfant croyait voir des milliers et des milliers de personnages, agenouillés et l’écoutant. Il leur dirait : Venez ! et ils viendraient. Il leur dirait : Partez ! et ils partiraient. Et à ceux qui se révolteraient il savait bien ce qu’il fallait faire. Tous des foutriquets ! Il descendit de son siège, se mit au lit, souffla sa chandelle. Il crut entrer dans un conte. Toutes les images qui peuplaient son cerveau d’enfant semblaient à cette minute s’animer ensemble : les récits de ses oncles, les légendes de sa grand’mère, les suggestions des boutiques, tout se mêlait pour composer une vie extraordinairement fastueuse où il était le roi, l’empereur, l’époux de la République et commandait à tous. L’éléphant du Jardin des Plantes caparaçonné de riches tapis balançait sa majesté, les fauves léchaient ses pieds. Ses ennemis gisaient sur le carreau du Père-Lachaise, un petit couteau à manche de corne planté dans le cœur. Il massacrait tout ce qui lui résistait. Il avait une Bourse, déchirait des feuillets de papier, de vieux journaux et les échangeait contre de l’or ; il était planteur, tout habillé de blanc, gras et rose sous un immense parasol, et des nègres soutenaient sa pipe démesurée. Tout tremblait