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LA JEUNESSE DE RABEVEL

jamais. Elle n’avait pas répondu ; son cœur avait bondi de joie sans que rien la troublât ; elle aimait Rodolphe ; nulle pensée coupable ne la visitait : mais enfin Noë resterait là ; ils n’en parlèrent jamais plus et son bonheur fut total. Que Noë l’aimât d’amour elle ne voulait pas le savoir, mais dans le secret de son cœur où elle n’osait fouiller, elle se doutait bien qu’elle aurait trouvé la certitude de cet amour ; qu’il se fut jamais trahi, elle ne s’en était à aucun moment aperçue… Mais la pensée qu’elle était là pour remplir la mission de Bernard lui revint. Et, simultanément, par une liaison toute naturelle des idées, elle eut le sentiment, brusque comme un choc, que l’adolescent avait eu l’intuition de leur secret innocent tandis qu’ils se penchaient à son chevet de malade ; l’assiduité de Noë auprès de lui — et d’elle — alors qu’auparavant il semblait ignorer Bernard afin de ne point se heurter à lui, comment l’aurait-il expliquée autrement ? Et soudain, elle pressentait la profondeur des desseins de Bernard et comment il savait jouer tous ses atouts, certain d’avance d’être compris. Elle le jugea redoutable, balança un moment à croire au chantage mais fut saisie par l’évidence. Quelle terrible et dangereuse petite brute, songea-t-elle. Mais elle l’excusait, le cœur fondu d’affection et de quelque chose de plus clandestin encore ; d’une satisfaction délicieuse, à peine et malgré elle avouée, que le lien subtil qui lui était cher fût assez insaisissable pour demeurer indéfini et assez perceptible pour que la finesse du malade l’eût senti ; sa certitude en était doublée