Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cles ? Pourquoi, aussi, laissent-ils les traits du père des cieux s’émousser sur la terre ? Pourquoi lui-même le souffre-t-il, au lieu de se ménager des armes contre ses ennemis ?

(6, 400) Pourquoi enfin Jupiter ne lance-t-il jamais la foudre, ne répand-il jamais sa menace retentissante, quand toute la face du ciel est pure ? Attend-il qu’elle soit voilée de nuages, pour descendre au sein de la tempête, et y ajuster ses coups de plus près ? Mais pourquoi les darder contre la mer ? Qu’a-t-il à gourmander les ondes, ces masses liquides, ces campagnes flottantes ?

En outre, s’il veut que nous évitions le coup de la foudre, pourquoi hésite-t-il à nous la faire voir, quand elle part ? Veut-il, au contraire, nous surprendre, nous accabler de ses feux : alors pourquoi ce tonnerre qui éclate du même côté, afin de nous prémunir contre la foudre ? (6, 410) Pourquoi ces ténèbres, ces frémissements, ces murmures déchaînés avant elle ?

Et puis, comment admettre que ses traits volent de toutes parts à la fois ? Or, oseras-tu prétendre que jamais un seul instant ne voit naître plusieurs coups ? Quoi de plus ordinaire, quoi de plus inévitable ? Comme les averses des nues tombent sur mille régions, ainsi la foudre doit jaillir de mille points en même temps.

Pour achever, d’où vient que sa flamme ennemie met en poudre les sanctuaires des dieux, et les brillantes demeures consacrées à lui-même ? D’où vient qu’il brise les belles statues des immortels, (6, 420) que la violence de ses coups ravit tous leurs charmes à ses propres images ? D’où vient encore qu’il s’attaque le plus souvent aux lieux élevés, et que la cime des montagnes nous offre surtout la trace de ses feux ?

Ces explications rendent désormais faciles à connaître les météores que les Grecs nomment prestères [424], à cause de leurs suites, et la force qui les envoie tomber des hautes régions dans la mer. Car on les voit de temps à autre, semblables à une colonne détachée, fondre du ciel sur les ondes : autour d’eux la mer émue bouillonne, échauffée par un souffle impétueux ; (6, 429) et les navires que surprend ce désordre courent un grand péril au sein de la tourmente. Voilà ce qui arrive parfois, alors que la rage du vent, incapable de rompre le nuage dont elle s’empare, l’abaisse pourtant, du haut des cieux vers les flots : espèce de colonne qui tombe peu à peu, masse que l’effort d’un bras robuste semble précipiter des airs pour l’étendre sur les eaux. Puis, quand il la crève, le vent rapide jaillit de ses flancs, et gagne la mer, où il excite dans les vagues un étrange bouillonnement. Car, à force de rouler ses tourbillons, il descend, et entraîne dans sa chute le nuage, corps obéissant et souple ; (6, 440) à peine a-t-il enfoncé dans l’abîme la masse orageuse, qu’il se déchaîne tout entier au sein de l’onde, qu’il soulève de toutes parts et fait bouillir la mer retentissante.

Quelquefois aussi une colonne de vent s’enveloppe elle-même de ces nues, dont elle ramasse les germes en les détachant de l’air, et imite ces prestères que laisse tomber le ciel. Une fois que la trombe est venue s’abattre et se rompre