Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.





NOTICE


SUR VIRGILE.

Virgile (Publius Virgilius ou Vergilius Maro) naquit le 15e jour d’octobre, l’an de Rome 684, sous le consulat de Crassus et du grand Pompée, dans un petit village aujourd’hui connu sous le nom de Petiola, autrefois appelé Andes, et assez voisin de Mantoue. On ne sait rien de précis sur la profession du père de Virgile ; mais on peut conjecturer qu’il était cultivateur et se livrait au soin des troupeaux. La conjecture même devient un fait qui nous est attesté par Virgile dans la plus touchante de ses pastorales. Tityre célèbre le jeune dieu qui lui a conservé sa pauvre cabane, ses champs et ses brebis :

O Melibæe, deus nobis hæc otia fecit…

Quel autre que son père Virgile nous indiquerait-il dans ce vieillard si triste de la ruine de ses voisins, si heureux du peu que lui avait ravi, du peu que lui a rendu la victoire d’Auguste ? Les vers suivants :

Libertas ; quæ sera tamen respexit inertem,
Candidior postquam tondenti barba cadebat…

achèvent de nous faire connaître la condition humble et précaire du père de notre poëte et la misère des temps. Il est vraisemblable que si Tityre possédait quelques biens en propre, il n’était pas de condition libre, et tenait à ferme les biens d’un propriétaire peu commode et peu juste. Rien n’empêche non plus qu’on ne reconnaisse, dans le vieillard Méris de la neuvième Églogue, Virgile lui-même venant, au nom du berger son père, se plaindre à Rome des violences du centurion Arius qui les avait expulsés de leur domaine, où ils venaient d’être rétablis par Octave. Quand même on ne tiendrait pas compte de ces petites circonstances de la vie de Virgile, qui se font jour à travers le dialogue charmant des Églogues, on ne se tromperait pas en assurant que le poëte des Géorgiques est né sous un toit rustique, qu’il a commencé de vivre au milieu des occupations des champs, des images riantes ou sévères du travail, et qu’il n’a fait que passer d’un premier et doux état de rêverie à une contemplation forte et savante de la nature cultivée. Quoi qu’il en soit, son père l’envoya à Crémone pour y apprendre les belles-lettres. Ainsi le père d’Horace avait mené son fils à Rome, ne voulant pas rougir de lui devant les fils des centurions : noble et touchante vanité, qui nous fait aimer davantage les deux pères, et les deux poëtes semblables par leurs humbles commencements ! Virgile atteignait sa seizième année, quand il quitta cette ville pour se rendre à Milan, où il prit la robe virile, le jour même de la mort de Lucrèce : comme si les Muses, dit Lebeau, eussent voulu montrer dans cet homme le poëte qui devait hériter de la gloire d’un beau génie. Alors Crassus et Pompée étaient consuls pour la seconde fois. Naples, l’Athènes de l’Italie, attirait à ses écoles célèbres l’élite de la jeunesse romaine ; Naples avait conservé dans sa pureté harmonieuse le langage des Grecs. L’esprit, le goût, la science, la philosophie, les traditions de la Grèce y revivaient sous un ciel encore plus doux que celui de l’Attique ; et le mouvement des études, recommencé par les esprits latins, à la fois imitateurs et créateurs, y était prodigieux. Virgile vint donc à Naples ; et comme Cicéron s’y était préparé à l’éloquence par la pratique passionnée des modèles grecs et par des études générales, Virgile avec la même ardeur et la même souplesse d’esprit s’appliqua à la physique, à l’histoire naturelle, à la philosophie, aux mathématiques, à toutes les sciences qui s’étaient répandues de la Grèce dans le monde.

Il étudia les diverses philosophies de la Grèce ; et on devine sans peine que sa belle imagination, réglée par un grand sens, dut s’attacher à ce qu’il y avait de plus noble, de plus hardi et de plus raisonnable dans ces systèmes. Pythagore, Épicure et surtout Platon sont mêlés dans les Géorgiques et dans l’Énéide aux meilleurs mouvements de la poésie ; et tout le monde sait les beaux endroits de ces deux poëmes où Virgile expose avec une lucidité admirable et avec un divin enthousiasme les théories magnifiques de l’organisation de la matière, de l’immortalité des âmes, de leurs transmigrations, de la constitution de toute chose dans cet univers. Au reste, les Géorgiques, si l’on n’en examine que le fond didactique, et les six derniers chants de l’Enéide, pleins des antiquités de l’Italie, seraient des preuves assez solides par elles-mêmes du profond savoir de Virgile, et vaudraient mieux qu’un détail biographique pour témoigner des solides commencements du poëte.

Virgile est-il venu à Rome du vivant de César ? A-t-il été connu de César ? Martyn, commentateur anglais, penche pour l’affirmative, et cite, à l’appui de son opinion, ce trait de l’apothéose du dictateur dans la cinquième Églogue : Amavit nos quoque Daphnis. La conjecture n’a rien d’extraordinaire, pour peu que l’on tienne au sens de l’apothéose, et à cette déification pastorale du dictateur. Mais toutes les traditions attestent que Virgile se rendit à Rome après la bataille de Philippes, et que pré-