Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/29

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Mais comme la saine raison se récrie et rejette une telle idée, tu es obligé de reconnaître qu’il y a certains corps qui ne peuvent plus avoir de parties, et qui sont de la plus petite nature possible ; et que si ces corps existent, ils doivent être solides et éternels.

(1, 629) Mais si, après avoir fait toutes choses, la nature avait coutume de les réduire en atomes indivisibles, elle ne pourrait plus les reproduire, parce que la matière, qui demeurerait éparse, manquerait de tout ce que doivent avoir les corps générateurs, comme les différents assemblages, le poids, les rencontres, les chocs et les mouvements à l’aide desquels tous les êtres se forment.

Ainsi donc ceux qui pensent que le feu est le seul élément des choses et que toute la nature se compose de feu, me semblent égarés loin de la saine raison. Le premier [639] qui engagea cette lutte, fut Héraclite, (1, 640) célèbre par un obscur langage plutôt parmi les esprits vides que parmi les hommes sages de la Grèce qui cherchent la vérité. Car les sots aiment et admirent surtout les idées qui se cachent sous des termes équivoques, et ils acceptent pour vrai tout ce qui flatte leurs oreilles, et tout ce qui est fardé de paroles harmonieuses.

Mais je demande comment les choses peuvent être si variées, si elles ne se composent que de feu pur : car il ne servirait à rien que les atomes de feu devinssent plus denses ou plus rares, puisque ces atomes auraient la même nature que la masse du feu. (1, 651) La chaleur serait plus vive, si les parties étaient serrées ; et plus languissante, si elles étaient écartées et lâches ; mais voilà tout ce que tu peux attendre de pareilles causes, tant il s’en faut que la diversité des êtres soit produite par un feu épais ou rare.

Et encore faudrait-il admettre que les corps renferment du vide, pour que le feu pût être ou plus rare ou plus dense. Mais comme ces philosophes, apercevant les contrariétés de leur système, ne veulent pas laisser au monde le vide pur, (1, 660) ils se perdent pour éviter un pas difficile, et ils ne voient pas que, sans le vide, tous les corps deviennent compacts et forment une seule masse, dont rien ne peut se détacher par des émissions rapides, tandis que le feu jette la chaleur et la lumière ; ce qui prouve que ses parties ne manquent pas de vide.

Peut-être croit-on que les atomes de feu peuvent s’éteindre quand ils s’amassent, et changer de nature ; mais si, en effet, aucune partie n’échappe à cette altération, toute la chaleur sera engloutie par le néant, (1, 670) et le néant seul enfantera les corps qui naissent : car tout ce qui sort de ses limites et dépouille son être se frappe de mort. Il faut donc que les atomes demeurent inaltérables, pour que les êtres ne soient pas anéantis ; et que la nature ne refleurisse point au sein du néant.

Or, puisqu’il y a des corps élémentaires qui conservent éternellement la même nature, et qui renouvellent et transforment les êtres suivant qu’ils s’y ajoutent ou s’en détachent, (1, 680) il est