Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/327

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s’élevait, au-dessus de la mer, la terre de Gnose. Là étaient Pasiphaé, brûlant pour un taureau d’un sauvage amour, et livrée à un honteux hymen ; et ce monstre au sang mêlé, à la double nature, ce Minotaure, fruit d’une abominable ardeur. Là étaient retracés le Labyrinthe, et l’ingénieux artifice de ses inextricables détours. Mais Dédale, touché du violent amour d’Ariadne pour Thésée, démêla lui-même les pièges et les mille circuits de cette mystérieuse demeure, (6, 30) guidant avec un fil les pas ténébreux de la fille de Minos. Et toi aussi, Icare, si la douleur d’un père l’eût permis, tu aurais eu la plus belle place dans ce vaste tableau : deux fois il avait essayé de retracer sur l’or ta triste aventure ; deux fois le ciseau tomba de ses mains paternelles. — Les Troyens auraient longtemps parcouru des yeux toutes ces merveilles, si Achate, envoyé par Enée vers la Sibylle Déiphobe, fille de Glaucus, prétresse d’Apollon et d’Hécate, ne fût arrivé avec elle. « Ce n’est pas le temps, dit-elle, de vous arrêter à ces vains spectacles : que n’avez-vous déjà immolé sept jeunes taureaux encore libres du joug, et autant de brebis choisies selon les rites ? » (6, 40) Elle dit, et les Troyens d’exécuter sur-le-champ ses ordres sacrés, et de la suivre au fond de son temple, où elle les appelle. C’est un antre immense creusé dans les flancs de la montagne de Cumes, et où conduisent cent larges chemins, cent vastes portes : de là s’élancent autant de voix retentissantes, réponses de la Sibylle. On était arrivé sur le seuil de la caverne, lorsque la vierge s’écrie : « Il est temps d’interroger les destins : le dieu vient, voici le dieu. » Elle parlait ainsi devant les portes, quand tout à coup son visage, ses traits se bouleversent, ses cheveux s’épanchent en désordre, sa poitrine halète, son sein se gonfle sous l’effort d’une rage divine : sa taille paraît grandir, (6, 50) et sa voix n’a plus rien d’une mortelle ; le dieu lui souffle de plus près l’esprit fatidique. « Énée, dit-elle, tu tardes à offrir tes vœux et tes prières ! tu tardes encore ! N’espère donc pas voir s’ouvrir pour toi les portes ébranlées de cette redoutable demeure. » À ces mots elle se tut ; une sainte horreur glaça les os des Troyens, et leur roi exhala cette prière du fond de son cœur : « Apollon, toi qui eus toujours pitié des grands maux d’Ilion, toi qui dirigeas la main et qui poussas la flèche de Pâris contre Achille, c’est sous ta conduite que j’ai parcouru tant de mers qui embrassent les vastes terres, pénétré jusqu’aux régions lointaines qu’habitent (6, 60) les Massyliens, et jusqu’à ces campagnes que bordent les Syrtes. Enfin nous saisissons ce rivage de l’Italie qui fuyait devant nous ; enfin la triste fortune de Troie aura cessé de nous poursuivre. Et vous aussi épargnez, il en est temps, la race de Pergame, vous tous, dieux et déesses, qu’importunaient Ilion et l’immense gloire de la Dardanie ! Et toi, sainte prêtresse, qui sais l’avenir, accorde aux Troyens (je ne demande que l’empire dû à mes destins), accorde-leur de s’établir dans le Latium, et d’y fixer leurs pénates errants et les dieux agités de Troie. Alors j’élèverai à Apollon et à Hécate un temple du marbre le plus beau, et j’instituerai des jours de fête en l’honneur de Phébus. (6, 70) Et toi aussi, vénérable Sibylle, je te réserve un auguste sanctuaire dans mon em-