Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/332

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pée hors le fourreau : c’est le moment, Énée, d’avoir du courage et un cœur intrépide. » À ces mots elle s’élance en furieuse dans l’antre ouvert ; le héros se précipite sur les pas de son guide audacieux.

Dieux qui avez l’empire des âmes, ombres silencieuses, Chaos, Phlégéthon, vastes lieux où régnent la nuit et le silence, souffrez que je raconte ce que j’ai entendu : permettez qu’un mortel révèle les secrets ensevelis dans les ténébreux abîmes de la terre. Ils marchaient, seuls dans la nuit, à travers les ténèbres, les demeures désertes de Pluton et ses royaumes vides. (6, 270) Tel, à la clarté douteuse d’une pâle lune, le voyageur chemine à travers les forêts : Jupiter a enveloppé le ciel d’une ombre noire, et la nuit ôte aux objets leur couleur.

Devant le vestibule des enfers, et à la bouche même du gouffre de l’Orcus, le Chagrin et les Remords vengeurs ont établi leur demeure. Là habitent et les pâles Maladies, et la triste Vieillesse, et la Faim, mauvaise conseillère, et la honteuse Indigence, spectres terribles à voir, et la Mort, et le Travail, et le Sommeil frère de la Mort, et les mauvaises Joies du cœur, et sur le seuil même la Guerre meurtrière, (6, 280) et les Euménides couchées sur des lits de fer, et la Discorde insensée, avec sa chevelure de vipères qu’enlacent des bandelettes sanglantes. Au milieu est un orme touffu, immense, qui étend de tous côtés ses rameaux et ses bras séculaires : c’est, dit-on, la retraite des vains Songes, qui s’abritent, hôtes légers, sous chaque feuille. Là sont encore mille monstres divers : sous les portes gîtent les Centaures, les Scyllas à la double forme, Briarée aux cent bras, l’Hydre de Lerne aux sifflements horribles, la Chimère armée de flammes, les Gorgones, les Harpies, et l’ombre de Géryon aux trois corps. (6, 290) Soudain Énée, frappé de terreur, saisit son glaive et leur en présente la pointe : et si la docte prêtresse ne l’eût pas averti que c’étaient de légers simulacres sans corps, de vaines et subtiles images qui voltigeaient dans les ténèbres, il se serait précipité, et il aurait frappé çà et là de son épée d’impalpables fantômes.

Là s’ouvre le chemin qui mène à l’Achéron, gouffre vaste et bourbeux, rapide torrent, qui vomit en bouillonnant sa fange immonde dans le Cocyte. Ces eaux et ce fleuve sont gardés par un horrible nocher : c’est Charon à l’air hideux et effroyable ; sur son menton (6, 300) s’épaissit une barbe blanche et inculte, ses yeux flamboient : de ses épaules tombe, retenu par un nœud, un sale manteau. Lui-même gouverne sa barque avec l’aviron, et tend la voile ; lui-même passe les morts d’une rive à l’autre dans son noir esquif : il est vieux ; mais sa vieillesse est celle d’un dieu, verte et vigoureuse. Là se précipitait, en se répandant sur la rive, toute la foule des morts : c’étaient des mères, des époux, les vaines ombres des héros magnanimes délivrés de la vie, des enfants, des vierges qu’attendait l’hymen, et des jeunes gens mis au bûcher sous les yeux de leurs parents ; (6, 309) aussi nombreux que les feuilles qui tombent dans les forêts au premier froid de l’automne, ou que les oiseaux voyageurs qui, venant de la haute mer, s’abat-