Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/345

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bien de gémissements vont pousser et la grande cité et le champ de Mars ! quel deuil, ô Tibre, tu verras sur tes bords, quand tu couleras près de cette tombe récente ? Jamais enfant de la race d’Ilion ne portera plus haut les espérances de ses aïeux ; jamais la terre de Romulus ne se glorifiera d’un plus illustre nourrisson. Quelle piété, quelle antique vertu ! quel bras invincible à la guerre ! (6,880) Nul n’eût osé se porter impunément au-devant de lui dans les combats, soit que d’un pas intrépide il eût marché contre l’ennemi, soit qu’il eût enfoncé l’éperon dans les flancs d’un coursier écumant. Ah ! déplorable enfant, si tu peux vaincre un jour les destins cruels, tu seras Marcellus.... Donnez, donnez des lis ; donnez des fleurs, que je les répande à pleines mains ; que je couvre au moins de ces frêles offrandes les mânes de mon petit-fils ; que je m’acquitte de ce vain et dernier devoir. » C’est ainsi qu’Anchise et son fils erraient çà et là dans l’Élysée et à travers ces champs aériens : ils en parcouraient toutes les régions ; et Anchise faisait voir à Énée toutes ces merveilles, (6,890) remplissant son cœur du brûlant amour de sa future grandeur. Il lui raconte ensuite les guerres qu’il aura à soutenir dans l’Ausonie, lui dit les peuples du Latium, la ville de Latinus, et comment il évitera ou supportera tous les travaux qui l’attendent.

Il y a aux enfers deux portes du Sommeil : l’une est de corne, et ouvre un facile passage aux ombres véritables qui s’échappent vers la terre ; l’autre est formée avec art d’un pur et blanc ivoire ; c’est par là que les mânes envoient vers le ciel les songes trompeurs. Anchise entretint longtemps encore Énée et la Sibylle, et les fit sortir par la porte d’ivoire. (6,900) Le héros va droit à ses vaisseaux, et revoit ses compagnons. Alors longeant le rivage il cingle vers le port de Caïète : on jette l’ancre, et les vaisseaux amarrés bordent le rivage.


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LIVRE VII.


(7, 1) Et toi aussi, ô Caïète, nourrice d’Énée, tu as fait en mourant l’éternelle renommée de nos rivages. Encore aujourd’hui ta mémoire vénérée protège les bords où tu reposes ; et ton nom, si c’est une gloire dernière, marque dans la grande Hespérie la place où sont tes os.

Cependant le pieux Énée avait célébré selon les rites les funérailles de sa nourrice, et lui avait élevé un tombeau ; la mer était calme : il fit appareiller, et s’éloigna du port. La nuit, le vent se lève et souffle en poupe ; la lune au front d’argent se prête à guider les navires ; les flots s’illuminent de sa clarté tremblante. (7, 10) Énée rase les rivages du promontoire de Circé : c’est là que la fille du Soleil fait retentir de ses chants éternels des bois inaccessibles, et que dans son palais superbe, où le cèdre embrase la nuit de ses feux odorants, elle fait courir la subtile navette entre les fils d’un tissu délicat. Là on entend gémir dans la nuit, et gronder en se débattant contre leurs chaînes, des lions furieux ; on entend se dé-