Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit des mères crie au fond de vos cœurs, dénouez vos cheveux, et célébrez avec moi les orgies. »

Ainsi errait au milieu des forêts et dans les déserts habités par les bêtes fauves la reine, qu’Allecto poursuit partout des aiguillons de Bacchus. Quand la funeste déesse voit que c’est assez exciter de premières fureurs, qu’elle a rempli de trouble la maison royale, renversé les projets de Latinus, elle s’élève sur ses ailes ténébreuses, et s’envole vers la ville de l’audacieux Rutule ; cette ville fut, dit-on, (7, 410) bâtie par la fille d’Acrisius, Danaé, qui conduisait une colonie, et que l’impétueux Notus jeta sur ces rivages. Ardua, son ancien nom, est devenue Ardea, nom d’un oiseau : un nom célèbre, c’est tout ce qui lui reste de son antique splendeur. C’était au milieu des ombres de la nuit : Turnus goûtait sous les lambris de son palais un profond sommeil. Alors Allecto dépouille son horrible figure et son corps de Furie : elle prend le visage d’une vieille femme ; son front hideux se sillonne de rides ; elle couvre sa tête de cheveux blancs que retient une bandelette sacrée, et qu’elle ceint d’une branche d’olivier. C’est Calybé, vieille prêtresse du temple de Junon. Ainsi métamorphosée, elle se montre aux regards du jeune guerrier, et lui parle en ces termes : (7, 420) « Quoi ! Turnus, tu souffriras que tant de travaux soient perdus pour toi, et que ton sceptre passe aux mains de colons troyens ? Le roi des Latins te refuse sa fille, et une dot que tu as achetée de ton sang ; il te préfère un héritier de race étrangère. Va donc maintenant affronter les dangers pour un ingrat qui te joue ; va renverser les phalanges tyrrhéniennes ; assure le repos des Latins. Junon elle-même, la toute-puissante fille de Saturne, lorsque tu dormais durant la nuit paisible, m’a envoyée vers toi et te parle par ma voix. Lève-toi ; arme la jeunesse de tes États, et d’un cœur résolu fais-la sortir de ses murailles (7, 430) et marcher contre les chefs phrygiens, campés tranquillement sur les belles rives du Tibre ; cours, et brûle leurs vaisseaux. C’est la puissante volonté des dieux. Que le roi des Latins lui-même, s’il persiste à te refuser sa fille et à manquer à sa parole, sache enfin qui tu es dans la guerre, et comment Turnus se venge. »

Turnus lui répond avec un sourire moqueur : « La flotte troyenne est entrée dans les eaux du Tibre ; ne crois pas que je l’ignore, et la nouvelle en est venue jusqu’à mes oreilles. Cesse d’imaginer pour moi de vains sujets d’alarmes ; la reine des dieux ne m’a pas oublié. (7, 440) Le grand âge, je le vois, prêtresse caduque, agite de vains soucis ton esprit crédule, et, au milieu des querelles des rois, tu te forges de fausses terreurs. Prends soin des temples et des images des dieux ; voilà ton ministère ; et laisse aux guerriers à faire ou la guerre ou la paix. »

Ces mots allument le courroux d’Allecto : Turnus, qui l’a reconnue, veut la conjurer ; mais un soudain tremblement s’empare de ses membres ; son regard reste fixe : la Furie a fait siffler tous ses serpents ; elle s’est montrée dans toute son effroyable laideur. Alors roulant ses yeux