Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/371

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Lorsque la nuit, parvenue au milieu de sa carrière, a chassé le premier sommeil des yeux des mortels, c’est l’heure où la femme que la nécessité force à soutenir sa vie par le fuseau et par les ouvrages délicats de Minerve (8, 410) réveille la flamme assoupie sous la cendre, et, ajoutant la nuit à ses travaux, exerce à la lumière de la lampe ses femmes, auxquelles elle a distribué de longues tâches ; par là elle garde l’honneur du lit conjugal, et élève ses petits enfants : aussi matinal, le dieu du feu se lève de sa molle couche, et court aux travaux de ses forges.

Entre la Sicile et Lipare, l’une des Éoliennes, s’élève une île aux sommets fumants : sous ces roches s’étendent des cavernes, et tonnent minés par les fournaises des cyclopes des antres pareils à ceux de l’Etna : de là les pesants marteaux tombant sur les enclumes (8, 420) renvoient de lointains gémissements ; dans ces cavernes étincelle en sifflant l’acier des Chalybes ; la flamme halète dans ses fournaises rugissantes. C’est la demeure de Vulcain, et l’île s’appelle la terre de Vulcain : c’est là que le dieu du feu descendit du haut de l’Olympe. Alors sous ces vastes voûtes battaient le fer les Cyclopes Brontès, Stérope et Pyracmon, les membres nus. Ébauché par leurs mains habiles, s’achevait un de ces foudres que le père des dieux roule tant de fois dans les cieux, et qu’il lance sur la terre ; une partie était déjà polie, et l’autre était encore brute. Les Cyclopes avaient mêlé à sa trempe trois rayons de grêle, trois de pluie, (8, 430) trois de feu rutilant, trois des autans ailés. Ils travaillaient à y joindre les terribles éclairs, les bruits formidables, et ces colères enflammées de Jupiter qui poursuivent les mortels. D’un autre côté, ils se pressaient de forger pour Mars un char, et ces roues volantes sur lesquelles le dieu de la guerre emporté excite au combat les guerriers et les villes. Ailleurs ils polissaient à l’envi une redoutable égide, arme et signe de Pallas en furie ; ils l’ornaient d’or, de serpents entrelacés : et sur le sein même de la déesse la tête de la Gorgone lançait d’affreux regards. « Cyclopes, c’est assez, dit Vulcain ; enlevez tous ces ouvrages commencés, (8, 440) et soyez attentifs à mes paroles. Il faut que vous forgiez des armes pour un bouillant guerrier ; vite, et déployez vos forces et vos mains rapides ; j’ai besoin de tout votre art divin ; hâtez-vous, et point de retard. » Il dit, et tous de se partager les travaux, de se pencher sur les enclumes. L’airain, l’or coulent en ruisseaux, et l’homicide acier se liquéfie dans les vastes fournaises. Ils forgent un bouclier immense, et qui pût à lui seul défier tous les traits des Latins ; sept orbes, soudés par la flamme, s’y appliquent l’un sur l’autre. Cependant les uns reçoivent l’air dans les soufflets gonflés, (8, 450) et le chassent ; les autres trempent le fer dans l’eau sifflante ; l’antre gémit des coups déchargés sur l’enclume. Les Cyclopes lèvent tour à tour avec un grand effort leurs bras en cadence, et, la tenaille mordante à la main, ils retournent la masse embrasée du fer.

Tandis que le dieu de Lemnos presse ces ouvrages sur les bords éoliens, Évandre est réveillé sous son humble toit par la douce lumière, et par le chant matinal des oiseaux gazouillant sur le chaume hospitalier. Le vieillard