Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/38

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peront la nuit épaisse qui empêche ta vue de pénétrer au fond de la nature, tant elles jetteront de lumière les unes sur les autres.





LIVRE II.


(2, 1) Il est doux, lorsque la mer est grosse, lorsque le vent agite les ondes, de contempler du rivage la détresse des autres ; non que leurs tourments soient une jouissance pour nous, mais parce que nous aimons à voir de quels maux nous sommes exempts [4]. Les grandes batailles engagées dans la plaine réjouissent aussi la vue, quand on les voit sans péril ; mais rien n’est plus doux que de se placer aux cimes de la science [7], dans les sanctuaires inviolables que bâtit la paisible sagesse, et du haut desquels on découvre le reste des hommes (2, 10) qui errent çà et là dans la vie, cherchant un chemin à suivre ; qui luttent de génie, qui disputent de noblesse, et qui nuit et jour se consument en efforts admirables pour atteindre le faîte des richesses ou de la puissance.

Misérable humains ! cœurs aveugles !… dans quelles ténèbres et dans quels périls se passe ce peu de vie que nous avons ! Vous êtes donc sourds au cri de la nature, qui ne veut pas seulement que vous écartiez la douleur du corps, mais aussi que les âmes, libres de soucis et de terreurs aient leurs jouissances, leur bien-être ?

(2, 20) Le corps a peu de besoins : il faut peu de chose pour le garantir de la souffrance, pour lui procurer mille délices ; et souvent la nature ne demande pas davantage. Si les hommes ne possèdent pas de ces riches statues qui tiennent à leur main droite des lampes étincelantes [24], et jettent des flots de lumière sur la débauche des nuits ; si l’argent et l’or ne brillent pas dans leurs demeures ; si les lyres harmonieuses ne retentissent point sous les voûtes et les lambris dorés, ils peuvent du moins, étendus ensemble sur des herbes molles, (2, 30) au bord des frais ruisseaux et sous le feuillage des grands arbres, ils peuvent goûter à peu de frais toutes les jouissances du corps, surtout lorsque la saison est riante, lorsque le printemps émaille de fleurs les vertes prairies.

La fièvre brûlante quitte-t-elle plus vite tes membres, quand ils se tordent sur des étoffes brodées et éclatantes de pourpre, que quand il faut dormir sur la couche grossière du peuple ?

Ainsi donc, puisque ni les trésors, ni la noblesse, ni la gloire du diadème, ne profitent au corps, il faut croire que ces biens superflus ne sont pas moins inutiles à l’âme. (2, 40) Lorsque tu vois bouillonner dans la plaine tes légions innombrables, qui offrent un simulacre de bataille ; lorsque tu vois la mer écumer sous tes flottes qui se développent et manœuvrent au sein des ondes, penses-tu que la superstition timide fuit épouvantée par cet appareil ; que les terreurs de la mort se dissipent, et te laissent à jamais la paix du cœur ?