Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/399

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flotte ; telles leurs trente galères s’élançaient au secours des Troyens, et de leurs proues d’airain fendaient les plaines liquides.

Déjà le jour s’était retiré du ciel, et, portée sur son char nocturne, la vagabonde Phébé touchait le milieu de l’Olympe. Énée, à qui ses inquiétudes ne permettent pas le repos, assis à la poupe, dirigeait lui-même le timon et gouvernait les voiles. (10, 219) Voilà qu’au milieu de sa course il voit venir à sa rencontre le chœur de ses compagnes de l’Ida, ces nymphes qui, de galères qu’elles étaient, avaient été changées par Cybèle en divinités des mers. Elles nageaient de front, et fendaient ensemble les flots, égales en nombre aux proues d’airain que le Tibre avait vues reposer dans ses eaux. Elles avaient de loin reconnu leur roi, et semblaient former des chœurs autour de lui. Alors la plus éloquente d’entre elles, Cymodocée, s’attachant d’une main à la poupe qu’elle suit, s’élève sur les mers, et de l’autre main bat comme avec la rame les ondes silencieuses. Alors elle apprend à Énée ce qu’il ignorait : « Veilles-tu, fils des dieux ? veille, et déploie voiles et cordages. (10, 230) Nous sommes les pins du sommet sacré de l’Ida, aujourd’hui nymphes de la mer, naguère tes vaisseaux. Le perfide Rutule, le fer et la flamme à la main, se précipitait pour nous accabler, quand nous rompîmes à regret les chaînes qui nous retenaient sous ta main ; errantes sur la mer, nous t’y cherchons. Cybèle nous prenant en pitié a changé notre forme première, a fait de nous des déesses, et nous a accordé de vivre immortelles sous les ondes. Cependant ton fils Ascagne est pressé dans tes murs et dans tes fossés ; de toutes parts l’environnent les traits, les bataillons latins, les horreurs de la guerre. Les cavaliers arcadiens, fortifiés des troupes étrusques, occupent déjà le poste que tu leur as assigné ; Turnus, pour empêcher qu’ils ne se joignent au camp troyen, a résolu de leur couper le passage avec ses escadrons. (10, 241) Lève-toi donc, et, aux premiers rayons de l’aurore, commence à mettre tous tes alliés sous les armes ; toi-même arme-toi de l’invincible bouclier que t’a donné le dieu du feu, et qu’il a ceint d’un or impénétrable. Le jour qui va luire, si tu ne crois pas que mes paroles soient vaines, verra un immense carnage des Rutules, et bien des cadavres entassés. » Elle dit, et, se rappelant son art, elle pousse en reculant la poupe d’Énée ; la galère fuit sur les eaux, plus rapide qu’un dard ou qu’une flèche qui égale les vents en vitesse. Les autres navires précipitent à l’envi leur course. Le héros étonné ne sait d’où vient ce prodige, (10, 250) mais il accepte un augure qui relève ses esprits : alors levant les yeux au ciel, il adresse à Cybèle cette courte prière : « Puissante mère des dieux, reine de l’Ida, qui chérissez Dyndyme, qui protégez les villes couronnées de tours, qui soumettez au frein des lions attelés, c’est vous qui me guidez aujourd’hui au combat ; rendez-moi cet augure favorable, et venez, ô déesse, d’un pas propice seconder vos Phrygiens. » Tandis qu’il parle, le jour se précipitait ramenant sa pleine lumière, et chassait les ombres de la nuit. D’abord Énée ordonne à ses alliés de se ranger sous leurs drapeaux, de se remplir d’une ardeur martiale, et de se préparer au combat. (10, 260) Debout sur la poupe, il aperçoit déjà les Troyens et son camp : alors de son bras gauche il élève son bouclier étincelant. Les Troyens, de leurs murs, poussent un cri jusqu’aux