Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/401

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Troyens, et va se placer sur le rivage. (10, 310) On sonne la charge : Énée le premier fond sur les bataillons agrestes du Latium, et, présage heureux ! il les culbute, après avoir tué Théron, leur chef, guerrier à la taille gigantesque, qui s’était porté contre lui. Énée, prenant le défaut de sa cuirasse d’airain et de sa tunique aux âpres mailles d’or, lui enfonce son épée dans le flanc, et ne la retire que pour en frapper Lichas, Lichas tiré vivant du sein de sa mère expirée : on t’avait, ô Phébus, consacré cet enfant, échappé, grâce à ton art, à la cruelle épreuve du fer. Non loin de là, le robuste Cissée et l’immense Gyas abattaient sous les coups de leurs massues des files entières de soldats : Énée les terrasse ; rien ne les garantit du trépas, ni les armes d’Hercule, (10, 320) ni leurs mains vigoureuses, ni Mélampe, leur père, compagnon d’Alcide, tant que la terre fournit au dieu de terribles travaux. Tandis que Pharo jetait à travers les airs des cris impuissanls, Énée, dardant un trait, le plonge dans sa bouche béante. Et toi, Cydon, Clytius, dont les joues s’ombragent à peine d’un premier et blond duvet, t’entraînait sur ses pas, toi, ses nouvelles délices : abattu par le bras du Troyen, tu oubliais, infortuné, dans la mort, Clytius et tant d’autres amours, si les sept fils de Phorcus, se rangeant devant toi en troupe serrée, n’eussent lancé tous les sept leurs sept traits contre Énée : (10, 330) les uns rebondissent repoussés par le casque et le bouclier du héros ; les autres, détournés par la main maternelle de Vénus, ne font qu’effleurer le corps de son fils. Alors Énée au fidèle Achate : « Donnez-moi de ces traits (pas un seul ne sera lancé en vain contre les Rutules), de ces traits qui restèrent enfoncés dans le corps des Grecs sous les murs d’Ilion. » À l’instant il saisit un long javelot et le lance : le javelot vole, perce de part en part l’airain du bouclier de Méon, brise et sa cuirasse et sa poitrine. Alcanor s’avance, et de sa main soutient son frère qui tombe : le javelot, suit son élan, traverse, encore chaud et ensanglanté, le bras d’Alcanor ; (10, 341) le bras, détaché de l’épaule, pend à ses nerfs languissants. Numitor, autre frère de Méon, retire le javelot de ce corps inanimé, et le lance à Énée ; mais le coup ne peut l’atteindre, et ne fait qu’effleurer la cuisse du valeureux Achate.

Cependant Clausus, venu de Cures, s’élance tout fier des forces du jeune âge, et de loin, de toute la roideur de son bras, lance un javelot contre Dryope : le fer s’enfonce sous son menton, lui traverse la gorge, et du même coup lui ravit la parole et la vie. Dryope frappe la terre de son front, et sa bouche vomit des flots d’un sang épais. (10, 350) Trois jeunes Thraces de la plus antique race de Borée, et trois fils d’Idas, sortis d’Ismare leur patrie, tombent par des coups divers sous le bras de Clausus. D’un autre côté, Halésus accourt avec les Aurunces, et il est suivi de Messape, fils de Neptune, à la tête de sa brillante cavalerie. Les deux partis luttent pour se chasser l’un l’autre de l’Italie : la frontière ausonienne est le champ de bataille. Tels, dans le vaste espace des airs, un combat s’élève entre deux vents égaux en forces et en haleine. Ni les nuages, ni les flots de la mer, ni les vents entre eux, ne se cèdent l’un à l’autre : des deux côtés la lutte est douteuse,