Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/406

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Pan, dieu des forêts, et de la nymphe Dryope, triomphant de l’éclat de ses armes, vient s’opposer à la furie du héros. Énée, d’un javelot vigoureusement ramené en arrière, perce sa cuirasse et son énorme bouclier, qui ne font plus que l’embarrasser de leur poids. En vain Tarquitus le supplie, et veut le toucher par ses paroles ; Énée lui abat la tête ; et du pied repoussant le tronc encore tiède, il prononce ces paroles de colère : « Te voilà gisant sur la poussière, redoutable guerrier ; ta tendre mère ne t’ensevelira pas, ne déposera pas tes membres dans le tombeau de tes pères : tu seras abandonné aux oiseaux de proie, ou plongé dans le gouffre des mers ; (10, 560) l’onde t’emportera, et les poissons affamés déchireront ta blessure. » Aussitôt il se met à poursuivre Antée, et Lucas, portés au premier rang de l’armée de Turnus, le brave Numa, le blond Camerte, fils du magnanime Volscens, le plus riche de ceux qui cultivent les champs de l’Ausonie, et roi des taciturnes Amycles. Tel Égéon aux cent bras, aux cent mains, vomissait des feux de ses cinquante poitrines, et opposait aux foudres de Jupiter autant de boucliers retentissants, autant d’épées nues ; Tel Énée victorieux répand ses fureurs dans la plaine, (10, 569) dès que son glaive s’est tiédi dans le sang. Le voici qui marche contre les quadriges et droit à la poitrine de Niphée : dès que les coursiers voient de loin le héros venir à eux à grands pas et frémissant de rage, saisis d’épouvante ils reculent, et, se rejetant en arrière, ils renversent leur conducteur et entraînent le char vers le rivage.

Dans le même temps Lucagus et son frère Liger, montés sur un char attelé de deux coursiers, se portent au milieu des bataillons troyens. Liger guide les coursiers ; le bouillant Lucagus fait tournoyer sa foudroyante épée. Énée ne peut souffrir leurs fureurs meurtrières : il fond sur eux, et leur apparaît armé d’une lance qui le grandit encore. (10, 580) Alors Liger : « Ce ne sont pas ici les champs de Phrygie ; ce ne sont ni les coursiers de Diomède, ni le char d’Achille : tu vas trouver en ces lieux la fin de la guerre et de tes jours. » Ainsi parle l’insensé Liger ; ainsi volent dans les airs ses vaines paroles. Mais ce n’est pas par des mots qu’Énée lui répond ; il lance son javelot, dans le temps que Lucagus suspendu à l’attelage se penche sur ses coursiers, les pique de la pointe d’un dard, et jetant en avant son pied gauche, s’apprête au combat : le javelot d’Énée traverse par les bords le brillant bouclier de Liger, et va se plonger dans son aine gauche : (10, 590) renversé de son char, le Rutule roule mourant sur l’arène. Alors Énée l’insulte par ces paroles amères : « Lucagus, tu n’accuseras pas tes chevaux et ton char d’avoir trahi ton ardeur par une course trop lente, non plus que l’ennemi de les avoir effarouchés par les vaines ombres de la peur ; c’est toi-même qui sautes à terre, et qui abandonnes le joug. » À ces mots, il saisit les deux coursiers : le malheureux Liger, tombé du même char, tendait au héros des mains désarmées : « Noble Troyen, lui disait-il, par toi-même, par ceux qui ont donné le jour à un héros tel que toi, je t’en conjure, laisse-moi cette vie, aie pitié d’un