Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/410

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À ces mots, il retire sa lance du corps de son ennemi : un dur repos et un sommeil de fer pèsent sur les yeux d’Orode, qui se ferment, obscurcis par une nuit éternelle. Cependant Cédicus abat la tête d’Alcathoüs ; Sacrator tue Hydaspe ; Rapon immole Parthénius et le robuste Orsès ; Messape accable tour à tour Clonius et Éricète de Lycaonie : (10, 750) l’un gisait renversé de son coursier sans frein ; l’autre était à pied. Agis de Lycie s’était porté en avant ; il est abattu par Valérus, qui n’a pas dégénéré de la valeur de ses ancêtres : Salius tue Thronius ; à son tour il est tué par Néalcès, habile entre tous à lancer le javelot et la flèche, qui de loin frappe inattendue.

Jusqu’alors Mars égalait pour les deux armées le deuil et les funérailles ; des deux côtés reculaient et se ruaient vaincus et vainqueurs ; mais ni les uns ni les autres ne savaient fuir. Les dieux, assemblés dans le palais de Jupiter, ont pitié de la vaine fureur des combattants, et plaignent les mortels occupés à de si tristes travaux. (10, 760) Ici Vénus, là Junon regardent le combat, tandis que la pâle Tisiphone, au milieu des bataillons, échauffe le carnage. Voici que, brandissant une énorme javeline, Mézence se porte en furieux dans la plaine : ainsi le grand Orion marche à grands pas à travers les vastes étangs de Nérée, se frayant une route au milieu des eaux, qu’il dépasse des épaules ; ou pareil à un vieil orme des montagnes, il touche la terre de ses pieds, et cache sa tête dans les nues : tel se porte Mézence sous son énorme armure. Énée, qui le cherchait des yeux dans la longue file des rangs ennemis, (10, 770) se prépare à marcher contre lui : Mézence s’arrête sans trembler, attendant ce magnanime ennemi, et se ramassant dans sa masse immobile. Dès qu’il a mesuré des yeux l’espace que peut franchir sa javeline : « Que mon bras, mon seul dieu, que ce trait que je balance, me soient propices ! Je fais vœu, si j’enlève la dépouille de ce brigand, de t’en revêtir, ô mon fils Lausus ! c’est toi qui porteras ce trophée pris sur le Troyen. » Il dit, et lance de loin un bruyant javelot ; le trait vole, est écarté par le bouclier d’Énée, et va percer au milieu des flancs le vaillant Antor, autrefois compagnon d’Hercule, et qui, sorti d’Argos (10, 780) pour s’attacher à Évandre, s’était établi dans une cité italienne. Le malheureux est renversé par un coup qui ne lui était point destiné ; il regarde le ciel, et se souvient en mourant de sa chère Argos. Alors le pieux Énée lance un dard ; le trait perce le triple airain, le triple tissu de lin et la triple peau de taureau qui recouvraient le bouclier de Mézence, et va s’enfoncer dans sa cuisse ; mais là s’amortit la force du coup. Énée, qui voit couler le sang du Tyrrhénien, s’en réjouit, met l’épée à la main, et dans sa bouillante ardeur fond sur son ennemi étonné. Lausus, que trouble sa tendresse pour son père, pousse, en le voyant, un profond soupir ; (10, 790) des larmes coulent sur ses joues. Oui, noble jeune homme, toi, tes hauts faits et ta mort déplorable (si la postérité peut croire à tant de courage et de piété) ne seront point passés sous silence dans mes vers. Déjà lâchant pied, hors de combat, et comme enchaîné aux bras d’Énée, Mézence se retirait, et traînait avec son bouclier le dard ennemi qui l’avait percé. Lausus se jette entre eux et à travers leurs armes : dans le moment qu’Énée se dresse le bras levé, et va porter à Mézence