Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/430

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siers ardents ; permets, grand dieu, que j’efface le déshonneur imprimé à nos armes : (11, 790) je ne demande point la dépouille de la vierge vaincue, je ne veux pas d’un si petit trophée ; d’autres exploits m’illustreront assez : pourvu que mon bras extermine ce terrible fléau de ma patrie, je consens à retourner sans gloire dans nos cités. » Apollon l’entend et lui accorde une part de son vœu ; mais l’autre il la laisse se perdre dans les airs. Il consent qu’il abatte Camille par un coup soudain et terrible ; mais il ne veut pas qu’il revoie les hautes murailles de sa patrie ; et les vents emportent sur leurs ailes orageuses ses dernières paroles.

Enfin le trait lancé par la main d’Arruns siffle à travers les airs ; (11, 800) tous les yeux, tous les cœurs emportés se tournent vers la reine des Volsques. Mais l’intrépide guerrière n’entend pas le souffle frémissant du fer, ne voit pas le trait qui arrive à travers les airs, quand déjà la pointe l’a atteinte, s’est enfoncée au-dessous de sa mamelle nue, et, pénétrant au fond de sa poitrine, a bu son sang virginal. Les compagnes de Camille accourent éperdues, et reçoivent dans leurs bras leur reine, qui tombe. Arruns le premier s’enfuit épouvanté, et le cœur rempli de joie et de terreur ; il n’ose plus se fier à sa lance, il n’ose aller au-devant des armes de la vierge abattue. Tel un loup, avant que les traits vengeurs ne le poursuivent, (11, 810) court se cacher dans les profondeurs inaccessibles des monts ; il a égorgé un grand taureau et le berger lui-même ; troublé de ce coup d’audace, et repliant sa queue tremblante qu’il colle à ses flancs, il gagne les forêts : ainsi Arruns, dans son trouble, se dérobe à tous les yeux, et, content de la fuite, il va se confondre au milieu des bataillons latins. Camille mourante veut de sa main arracher le trait ; mais il est retenu par sa pointe de fer, qui a pénétré à travers les os jusqu’au fond des côtes. Elle tombe sans vie ; ses yeux s’éteignent glacés par la mort, et son teint, tout à l’heure vermeil, s’efface de son visage. (11, 820) Alors, près d’expirer, elle dit ces mots à la triste Acca, celle de ses compagnes qui de toutes lui était la plus fidèle, et qui partageait les secrets de son cœur : « Acca, ma sœur, j’ai eu jusqu’ici des forces ; mais ma cruelle blessure m’accable, et tout se noircit autour de moi des ombres de la mort. Va, cours, porte à Turnus mes dernières paroles. Qu’il vienne prendre ici ma place, et qu’il repousse les Troyens des murs de Laurente. Adieu. » Elle dit, laisse aller les rênes de son coursier, et tombe à terre. Le frisson de la mort dénoue peu à peu les liens de son corps ; (11, 830) elle penche sur son sein son cou languissant et sa tête environnée de sombres vapeurs ; elle abandonne ses armes, et son âme en courroux s’envole en gémissant chez les Mânes. Alors d’immenses cris s’élèvent de la plaine, vont frapper les astres ; Camille abattue, le combat se rallume avec plus de fureur : Troyens, Tyrrhéniens, les escadrons d’Évandre, tous se rassemblent, tous s’élancent à la fois sur l’ennemi.

Cependant la compagne de Diane, Opis, s’était depuis longtemps arrêtée sur le sommet des monts, et de là regardait tranquille les sanglants combats.