Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/436

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frère à la mort ; ou rallumez la guerre, et rompez dans ses commencements ce fatal traité : c’est moi qui vous y pousse. » Ainsi elle encourage la nymphe (12, 160) encore incertaine, et l’abandonne à son trouble, et à ses angoisses.

Cependant les deux rois s’avancent en grande pompe. Latinus est porté sur un char attelé de quatre coursiers ; autour de ses tempes resplendit une couronne à douze rayons d’or, image du Soleil, son aïeul : Turnus paraît traîné, par deux coursiers blancs, et brandissant deux javelots garnis d’un large fer. Vers le même lieu s’avance Énée, le père des Romains ; on le reconnaît aux feux que darde son bouclier céleste, à l’éclat de ses armes divines : Ascagne est à ses côtés, Ascagne, autre espoir de la grande Rome. Chacun sort de son camp : le grand prêtre, revêtu d’un lin pur, (12, 170) conduit un jeune porc et une brebis dont la toison n’a pas encore tombé sous le fer, et les amène au pied des autels embrasés. Alors les rois, l’œil tourné vers le soleil levant, présentent les gâteaux salés, coupent le poil sur la tête des victimes, et versent sur les autels les prémices de la coupe. Le pieux Énée, le glaive en main, s’écrie : « Soleil, et toi, terre d’Italie que j’invoque, toi pour qui j’ai pu supporter tant et de si rudes travaux ; Père tout-puissant des dieux ; et vous, fille de Saturne, vous que je prie de m’être plus favorable ; et toi, glorieux Mars, (12, 180) toi qui tiens sous ta puissance les destins divers des batailles ; vous, Fleuves et Fontaines, et vous divinités qui remplissez les airs et le vert abîme des mers, je vous prends à témoin de mon serment. Si le sort donne la victoire à l’Ausonien Turnus, les vaincus consentent à se retirer dans la ville d’Évandre ; Ascagne abandonne les champs latins, et les Troyens promettent de ne jamais relever leurs armes rebelles, de ne jamais tirer le fer contre cet empire. Mais si Mars et la victoire se déclarent pour nous (je l’espère, et puissent les dieux confirmer cette espérance !), je n’exige point que les peuples d’Italie obéissent aux Troyens, (12, 190) et ne prétends pas régner sur eux. Que ces deux nations invincibles, soumises aux mêmes lois, contractent une alliance éternelle. Je donnerai aux Latins nos dieux et nos rites : que Latinus, mon beau-père, maître de ses armes, garde un empire souverain sur ses peupies ; les Troyens bâtiront pour leur roi une ville nouvelle, et Lavinie lui donnera son nom. » Ainsi parle le premier le héros troyen. Latinus, les yeux levés au ciel, et la main étendue vers la voûte étoilée, prononce ces paroles : « Et moi aussi, Énée, je le jure comme vous, par la terre, par la mer, par les astres, par les deux enfants de Latone, par Janus au double front, par les puissances infernales, par le sanctuaire de l’impitoyable Pluton : (12, 200) puisse m’entendre le père des dieux, qui sanctionne les traités par sa foudre ! j’atteste ces autels que je touche, les feux sacrés et tous les dieux du ciel, que nul jour, quoi qu’il arrive, ne rompe cette paix et ces traités qui enchaînent l’Italie ; aucune force ne me dégagera de mes libres serments, non, quand même elle abîmerait dans les eaux la terre inondée, quand même les cieux s’écroulant tomberaient dans le Tartare. Ma parole est