Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/450

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fantement, entortilla leurs têtes des mêmes vipères, et leur donna des ailes rapides comme les vents. Debout près du trône et du redoutable seuil du roi des dieux, (12, 850) elles veillent, aiguillonnant la peur dans les âmes des malheureux mortels ; soit que le maître des dieux déchaîne sur la terre l’horrible mort et les maladies, soit qu’il épouvante par la guerre les cités coupables. Jupiter envoie du haut des airs l’une de ces rapides Furies, et lui ordonne de s’offrir en signe de malheur aux regards de Juturne. Elle vole, et un rapide tourbillon la porte sur la terre. Telle, chassée par la corde à travers la nue, la flèche qu’un Parthe ou un Crétois a armée de poison siffle, et, fendant les ombres d’un vol obscur, porte avec sa pointe infectée une incurable blessure. (12, 860) Ainsi la fille de la Nuit traverse les airs et gagne la terre. Quand elle a vu l’armée troyenne et les bataillons de Turnus, soudain elle se ramasse sous la forme empruntée de ce petit oiseau qui, se posant la nuit sur les tombeaux ou sur les toits abandonnés, prolonge dans les ténèbres ses cris importuns. La Furie, sous ce plumage, passe et revient devant les yeux de Turnus, et bat son bouclier de ses ailes. Une nouvelle terreur glace les membres engourdis de Turnus ; ses cheveux se dressent d’horreur sur son front ; sa voix s’arrête sur ses lèvres. À peine Juturne a-t-elle reconnu de loin le vol et l’aigre cri de la Furie, (12, 870) que la malheureuse sœur arrache ses cheveux épars, se déchire le visage, se meurtrit le sein. « Ah ! Turnus, s’écrie-t-elle, que peut maintenant pour toi ta sœur ? Que devenir, malheureuse que je suis, cruelle qui t’abandonne ? Par quel art prolonger pour toi la vie ? Comment m’opposer à ce monstre qui t’environne ? C’en est fait ; j’abandonne ce champ de bataille. Cessez, impurs oiseaux, de m’épouvanter ; je connais les battements de vos ailes et vos funèbres cris. Je sens l’impérieuse volonté du grand Jupiter. Voilà comme il me récompense de ma pudeur ravie ! Pourquoi m’a-t-il accordé une vie éternelle ? Pourquoi m’avoir exemptée de la condition mortelle ? (12, 880) La mort finirait pour moi de si grandes douleurs, et je pourrais accompagner mon malheureux frère chez les Mânes. Moi immortelle ? Mais quelle douceur, ô mon frère, puis-je goûter sans toi ? La terre a-t-elle des abîmes assez profonds pour m’engloutir, et me précipiter, toute déesse que je suis, dans les gouffres des enfers ? » À ces mots elle couvre sa tête d’un voile bleu, et se plonge en gémissant dans le fleuve.

Cependant Énée presse son rival, et fait étinceler son javelot dans ses mains redoutables : « Qui t’arrête maintenant, Turnus, s’écrie-t-il ? et pourquoi refuses-tu le combat ? (12, 890) Ce n’est pas de courir qu’il s’agit, mais de combattre de près avec des armes cruelles.

« Prends toutes les formes que tu voudras ; ramasse en toi toutes les ressources du courage et de l’art ; demande des ailes pour t’envoler vers les astres ; demande à la terre de te cacher dans ses entrailles. » Turnus secouant la tête lui répond : « Barbare, ce n’est pas le vain feu de tes paroles, ce sont les dieux qui m’é-