Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/455

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membres allanguis, les doux liens du sommeil. Ô troupeaux ! ô dieux Pans ! ô ravissantes Tempés pleines de sources et d’Hamadryades ! tous les pasteurs, dans le culte simple qu’ils leur vouent, rivaux du poëte d’Ascra, passent comme lui, d’un cœur tranquille, une vie sans orage. Tels sont les travaux du berger appuyé sur sa houlette : au doux midi, il rêve ; ou bien, inhabile aux harmonieux accords, il module sur ses roseaux joints ensemble sa chanson accoutumée ; (100) tandis qu’Hypéron s’élève, dardant ses rayons, et qu’il pose au milieu du monde éthéré cette ligne étincelante, d’où il jette sur l’un et l’autre Océan ses flammes dévorantes.


Mais voici que, rassemblées par le berger qui les pousse devant lui, les chèvres vagabondes descendent aux basses rives d’une source murmurante. L’onde bleuâtre sommeillait sur la verte mousse ; déjà le soleil avait atteint le haut point dcs cieux qui partage sa laborieuse carrière, lorsque le berger réunit son troupeau sous d’épais ombrages, et de loin vit ses chèvres, ô déesse de Délos, se coucher dans tes bois verdoyants. Là vint autrefois, poussée par d’irrésistibles fureurs, (110) la fille de Cadmus, Agavé, lorsqu’elle fuyait Bacchus. Mère criminelle, les mains ensanglantées par un épouvantable meurtre, le dieu l’agitait encore sur les pentes glacées des monts ; enfin elle se reposa dans un antre, et pour elle fut retardé le supplice qui expiait la mort de son fils. Là aussi, s’ébattant sur l’herbe verte, les Pans, les Satyres et les jeunes Dryades formèrent des chœurs avec la troupe des Naïades. Jamais Orphée ne retint l’Hèbre enchaîné par ses accords, et les forêts attentives, aussi longtemps que tu t’arrêtas, ô Diane, à la vue de ces chœurs de Pans, et de ces visages qui te souriaient, épanouis par le bonheur : (120) ce beau site vert, ce murmurant asile, semblait fait pour réparer par sa douce ombre les chèvres lassées. En avant, sur les pentes de la vallée, s’élevaient des platanes dont le vaste feuillage touchait la nue, et entre eux les funestes lotos ; funestes, puisqu’ils enlevèrent au triste roi d’Ithaque ses compagnons, captivés par la douceur fascinante de leurs couverts hospitaliers. Puis les sœurs de Phaéton, qui, renversé par les coursiers de Phébus tomba réduit en cendres du char lumineux, les Héliades, qui de douleur virent se changer leurs formes premières, enlaçaient leurs bras sortis de leurs tendres tiges, et déployaient la vaste tenture de leurs rameaux au blanchissant feuillage. (130) Plus loin c’était l’amante à qui Démophon laissa d’éternelles douleurs, et qui, pleurant sa perfidie, fut souvent perfide à son tour. À ses côtés se montrait l’arbre aux chants fatidiques, le chêne donné par les dieux aux humains avant les semences de Cèrès, le chêne, qui fit place aux épis nés du sillon de Triptolème. Là se dressait encore le pin, insigne honneur du navire Argo ; ses bras hérissés décorent les hautes futaies. D’autres sur les cimes aériennes, des monts, semblent aspirer aux astres : ce sont l’yeuse au noir feuillage, le luxuriant cyprès, les hêtres ombreux, fermes sur leurs troncs ; et le lierre qui se roule (140) aux branches du peuplier, pour empêcher qu’elles ne se meurtrissent au souvenir de leur frère, et qui, s’élançant jusqu’au faîte en spirales flexi-