Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/480

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pains divisés. (50) Il les porte dans son foyer. Cybale avait pris soin de nettoyer l’âtre qui les devait recevoir ; l’argile les couvre, et au-dessus s’entasse la braise. Tandis que le feu et l’argile les durcissent à l’envi, Simulus ne laisse point s’écouler l’heure oisive : il avise quelque nouvelle ressource contre la faim ; les dons seuls de Cérès ne flatteraient pas son palais ; il veut y joindre quelque mets apprêté. Au foyer de sa cabane n’étaient point suspendus à l’abandon le dos d’un porc et ses membres durcis dans le sel ; mais, traversé de sparte et enveloppé du vieux faisceau d’aneth, pendait le fromage orbiculaire. (60) Notre héros donc, dans sa prévoyance, se ménage d’autres délices.

Sa chaumière touchait un jardin qu’entouraient comme d’un rempart quelques plants d’osier, et les tiges du léger roseau, sans cesse renaissantes sous le tranchant du fer. Ce jardin occupait un petit espace ; mais il était fertile en herbes de toute espèce ; rien n’y manquait de ce qui contente les besoins du pauvre ; et souvent le riche vint demander à l’indigent Simulus les fruits de son enclos. Il le cultivait à peu de frais, se réglant sur ses autres travaux. Quand la pluie ou les jours de fête le retenaient libre dans sa chaumière, quand cessait pour lui le labour, il donnait ses loisirs à son jardin. Il savait planter mille herbes diverses, (70) confier leurs semences au sein de la terre, et leur distribuer avec mesure l’eau des ruisseaux voisins. Là croissaient mille légumes : la bette aux longs bras épandus, la féconde oseille, les mauves et l’aunée, le siser, le porreau qui doit son nom à sa tête, le froid pavot aux funestes vapeurs, la laitue agréable aux convives qu’ont fatigués les nobles mets, et le lourd concombre, couché sur son vaste ventre. Cette abondance n’était pas pour le maître du jardin (quel homme vécut plus à l’étroit ?), mais pour le peuple : tous les neuf jours (80) il portait à la ville, pour les vendre, de verdoyants faisceaux de légumes ; le soir il revenait au logis, le dos léger, mais la bourse pesante ; et rarement il rapportait du marché de la ville de quoi rehausser ses repas. L’oignon rouge et le porreau taillé domptent son appétit ; il y joint le cresson piquant sous la dent et qui tord la lèvre, l’endive, et la roquette qui ranime Vénus languissante.

Ce jour-là donc, songeant à quelque mince régal, il était entré dans son jardin. D’abord, creusant la terre d’un doigt léger, il en tire quatre aulx avec leurs racines fibreuses ; ensuite il arrache la rue qui donne la vigueur aux amants, l’ache à la fine chevelure, (90) et la coriandre aux fils menus et tremblants : les herbes cueillies, il va s’asseoir près de l’âtre joyeux, appelle son esclave, et lui demande le mortier. Alors il dépouille de leurs nombreuses enveloppes les têtes des aulx, en ôte un à un les premiers téguments, qu’il répand çà et là sur le sol d’une main dédaigneuse, et qu’il jette loin de lui : il n’en garde que les bulbes, et il les met dans le creux de la pierre. Il les parsème de grains de sel, il y joint la croûte d’un fromage qu’a durci le sel, et y entasse les