Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/494

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forts de son génie pour décrire le combat qui décida et commença le règne d’Octave. On a dit que Virgile avait cherché à louer Auguste dans le personnage d’Énée ; mais il faut avouer qu’Auguste prête ici un nouvel éclat au héros troyen. Quoi de plus propre, en effet, à rehausser la gloire d’Énée, que de le montrer comme la première cause de tant de grandeurs, et de le parer, pour ainsi dire, des trophées qui faisaient, au temps de Virgile, l’admiration de l’univers soumis ?


Nota. Le livre IX n’a donné lieu à aucune note.


LIVRE X.

v. 228…. Vigilasne, deum gens, Ænea ? Vigila, etc. Pour expliquer cette répétition, il est nécessaire de dire que cette expression était consacrée à Rome par les vestales, qui avaient coutume de l’adresser au grand pontife.

v. 315. Inde Lichan ferit, exsectum jam matre peremta, etc. Cette histoire d’un guerrier que le fer sauva à sa naissance, et qui périt par le fer, présente un contraste bien frappant, et fait naître une foule d’idées philosophiques. Lichas était venu au monde par l’opération césarienne, ainsi appelée parce qu’elle fut employée pour la naissance d’un enfant de la famille Julia, qui fut tiré du ventre de sa mère après la mort de celle-ci, et pour cette raison appelé César, quia matris alvus cæsa fuerat. Depuis ce temps tous les Jules prirent ce surnom. Cette opération a été tentée depuis avec succès sur des femmes vivantes.

v. 391… Laride Thymberque, simillima proles, etc. La mort de ces deux frères jumeaux, chéris de leurs parents, et tellement ressemblants que la différence de leurs blessures seule a pu les distinguer, est un des plus beaux exemples de l’art avec lequel Virgile sait entremêler ses récits de batailles à la peinture des vertus de la paix et des mœurs domestiques. On ne trouve rien de semblable dans Homère. M. de Puységur a placé l’auteur de l’Iliade au nombre des écrivains militaires : on doit s’étonner qu’il n’y ait point placé l’auteur de l’Enéide. Partout, dit le comte Algarotti, Virgile fait éclater ses connaissances guerrières, soit qu’il s’agisse d’asseoir un camp, soit qu’il faille l’attaquer ou le défendre ; il sait aussi bien faire marcher une armée que la mettre en ordre de bataille, et il place avec art les corps qu’il désigne dans les lieux où ils ont le plus d’avantage. Au reste, il n’est pas étonnant qu’il soit initié dans les secrets de l’art militaire : la plupart de ses amis, Pollion, Varus, Mécène, étaient guerriers.

Quoique les batailles de Virgile soient de la même époque que celles d’Homère, on ne peut nier qu’elles ne se ressentent des progrès que l’art de la guerre avait faits chez les Romains. On serait peut-être fondé à lui faire un reproche de cette espèce d’anachronisme ; mais on regrette plutôt que son sujet ne lui ait pas permis de nous faire connaître cet art funeste au point où l’avait porté l’habileté des Césars. Ses descriptions auraient peut-être fourni aux savants des notions plus précises que celles de Polybe.

v. 740… Te quoque fata Prospectant paria, etc. Les anciens croyaienl que les morts avaient le don de la divination ; il est bien naturel qu’Orode, si cruellement outragé par son vainqueur, désire et prévoie le juste châtiment de ses insultantes railleries. C’est ainsi que, dans le seizième livre de l’Iliade, Homère met dans la bouche de Patrocle expirant la prédiction de la mort d’Hector.


LIVRE XI.

v. 89… Æthon It lacrymans, etc. Cette image d’un vieux cheval de bataille pleurant derrière le corps de son maître est pathétique. On a voulu aussi qu’elle fût conforme à la réalité ; et c’est dans Pline le naturaliste que les défenseurs de Virgile ont trouvé une réponse aux critiques. Il parle ainsi des chevaux : « Amissos lugent dominos, lacrimasque interdum desiderio fundunt. » Le portrait beaucoup plus étendu que Buffon a fait de cet animal vient aussi à l’appui de cette assertion.

v. 142. Et de more vetusto Funereas rapuere faces ; lucet via, etc.. C’était dans les cérémonies funèbres les plus affligeantes, et pour les morts prématurées, qu’on se servait de flambeaux. Cette idée jette d’abord sur la cérémonie les plus sombres couleurs. Ces longues files de torches funéraires, que l’œil suit au loin dans la campagne, sont très-pittoresques.

v.336. Tum Drances idem infensus, quem gloria Turni, Obliqua invidia stimulisque agitabat amaris, etc. Quelques commentateurs ont pensé que Virgile, voulant faire sa cour à Auguste, avait représenté Cicéron sous ces odieuses couleurs : cette pensée lui ferait peu d’honneur. Mais est-il vraisemblable que Virgile, qui osa faire devant Auguste l’éloge de Caton, se soit rendu coupable d’une telle bassesse envers Cicéron, lorsque Rome était encore remplie de sa gloire ?


LIVRE XII.

v. 161. Interea reges, ingenti mole Latinus Quadrijugo vehitur curru, cui tempora circum Aurati bis sex radii fulgentia cingunt, etc. Quelques commentateurs ont vu dans cette pompe, au milieu de laquelle Latinus vient sur le champ de bataille, une ressemblance avec Auguste. On sait que cet empereur était souvent appelé par ses flatteurs le fils du Soleil. Suétone et Cédrénus racontent que le père d’Octave, le jour de la naissance de son fils, vit le Soleil se lever du sein de sa femme : « Exorientem Solem e sinu uxoris suæ.» Velléius dit qu’un jour, lorsque Auguste rentrait dans Rome sur son char, il parut environné des rayons du Soleil, qui formaient une couronne autour de sa tête. Cela fait voir jusqu’où allait la flatterie des courtisans et la crédulité du peuple romain.

v. 603. Et nodum informis leti trabe nectit ab alta. On ne peut nier que ce genre de mort ne fût très-ignominieux chez les anciens. Les corps de ceux qui mouraient de cette manière étaient abandonnes sans sépulture. Le trépas avait aussi ses préjugés. Tacite, dans ses Annales, affecte un profond mépris pour un proscrit qui s’était noyé dans le Tibre, tandis que la mode était de s’ouvrir les quatre veines. Il est probable qu’il n’aurait pas eu plus de respect pour un homme qui se serait pendu.

v. 869. At, procul ut Diræ stridorem adgnovit et alas, Infelix crines scindit Juturna solutos, etc. La Furie envoyée par Jupiter paraît ici sous la forme d’un oiseau de mauvais augure ; elle est par conséquent moins l’instrument que l’interprète de la volonté des dieux. Dans ce cas, l’apparition de cette Furie n’est pas, comme on l’a prétendu, une intervention directe de la Divinité. La mort des héros et des princes, chez les anciens, était toujours annoncée par quelques présages sinistres.