Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/509

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mont Amanus, le chasseur fuit rapidement les bois qu’il a ravagés, et presse son cheval qui tremble pour son maître ; tel fuit le vaisseau. Les mères, bordant le rivage, suivent des yeux les blanches voiles et les boucliers étincelants aux rayons du soleil, jusqu’à ce que la vague ait dépassé le mât, et que l’immensité de l’espace leur ait dérobé la vue du vaisseau.

Jupiter voit cette magnifique entreprise et ces immenses préparatifs ; il s’en réjouit du haut de l’Olympe ; (1, 500) car il n’aime pas que l’homme soit inactif, comme au temps de Saturne. Tous les dieux partagent son allégresse, et surtout les Parques, qui entrevoient dans l’avenir du monde l’agrandissement de leur terrestre domaine. Mais, tremblant pour le roi de Scythie, le Soleil, son père, exhale ainsi ses inquiétudes : « Souverain auteur de toutes choses, toi pour qui ma lumière, à chaque révolution d’année, parcourt et achève tant de fois sa carrière, est-ce là ta volonté ? Est-ce à ta voix et sous tes auspices que ce vaisseau grec fend les ondes ? Puis-je laisser éclater ma juste douleur ? Pour mettre mon fils à l’abri de l’envie que je redoutais, (1, 510) ce n’est ni dans les contrées centrales de la terre, ni sur des plages trop fertiles, que j’ai placé sa demeure : qu’ils soient à Teucer, ces heureux pays ; à Libys, à vos Pélopides : mon fils n’a que des campagnes sillonnées par les horribles frimas, par des fleuves de glace. Je l’aurais relégué plus loin encore ; j’aurais porté plus avant son empire déshonoré, si au delà n’était cette zone glaciale et inhabitée qui repousse jusqu’à l’impétuosité de mes rayons. Quel tort fait aux Grecs une région barbare ? quel tort le Phase à tous les fleuves du monde ? quel tort mon fils à des peuples si éloignés ? Que lui reprochent-ils, les Argonautes ? A-t-il enlevé de force la toison ? (1, 520) Il refusa au contraire de secourir Phrixus ; il ne vengea point l’attentat d’Ino, mais il retint le transfuge, en lui donnant avec sa fille une partie de son empire. Maintenant il a des petits-fils issus du sang des Grecs ; il nomme les Grecs ses gendres, et leur pays l’allié de sa famille. Arrête, ô Jupiter ! rappelle ce vaisseau ; n’ouvre pas, pour mon malheur, la route des mers à ces aventuriers : les rives ombragées du Pô, et les larmes des Héliades à la vue de leur père, n’attestent que trop mes chagrins d’autrefois. »

À ce discours, Mars secoue la tête, frémissant de ce qu’on tente de ravir cette toison placée sous sa sauvegarde. (1, 530) Pallas et Junon murmurent sourdement.

Alors Jupiter : « Ce qui arrive a été réglé par nous depuis longtemps, et s’accomplit suivant l’ordre prescrit ; nous en décidâmes ainsi dès l’origine des choses. Nous n’avions pas encore de fils chez les humains, quand nous traçâmes leurs destinées ; nous n’avons pu qu’être juste, en préparant, pour l’avenir, l’élévation des différents rois de la terre. Écoutez donc aujourd’hui ces lois dictées par notre sollicitude. Il y a bien des années que tout le pays qui longe les côtes immenses de l’Orient, depuis la mer d’Hellé jusqu’au Tanaïs, abonde en chevaux et est peuplé de guerriers. Nulle nation n’a osé encore y porter (1, 540) la guerre, ni lutter de valeur