Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/518

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Quand Jupiter vit pour la première fois les frémissements étouffés des dieux, et leur orgueil, blessé d’un règne nouveau, troubler la paix du ciel, il commença par se saisir de Junon ; et, la tenant suspendue du haut de l’Olympe, il lui montra de là l’horrible Chaos et les supplices du Tartare. Mais Vulcain veut délivrer sa mère épouvantée ; quand, soudain précipité du ciel, il roule, pareil à un tourbillon, tout un jour et toute une nuit, à travers les airs, et tombe bruyamment sur la terre de Lemnos. (2, 91) L’écho de sa chute se fait entendre jusque dans la ville. On le trouve appuyé contre un rocher ; on s’émeut ; on le soutient dans sa marche, retardée par la rupture de son genou. Quand ensuite il obtint de son père la permission de rentrer dans l’Olympe, Vulcain ne cessa d’aimer Lemnos ; il ne la rendit pas moins célèbre qu’Etna et que Lipari, il y eut ses temples, ses sacrifices ; il y accourt tout joyeux, après avoir forgé quelque égide ou les carreaux d’un foudre. Vénus, au contraire, n’a dans Lemnos qu’un autel toujours éteint, depuis le jour où, enveloppée avec Mars dans des liens invisibles, elle subit avec horreur la légitime colère de son époux. (2, 101) Cependant elle prépare sa vengeance ; Lemnos a mérité un châtiment ; il sera terrible. Déjà Vénus a perdu l’orgueil de sa beauté : sa chevelure n’est plus emprisonnée dans un réseau d’or, et flotte négligemment sur son sein éblouissant ; son regard est fixe et farouche, ses joues semées de taches livides. Semblable aux Furies, elle porte une robe noire, et une torche résineuse et pétillante.

Arrive enfin le jour qui vit la déroute des Thraces. Le chef des Lemniens, qui avait osé façonner en barques le flexible roseau et garnir de peaux leur mince charpente, (2, 110) revenait avec ses enseignes victorieuses, et ses esquifs remplis de captives, de troupeaux, de vêtements des barbares, et de colliers, parure favorite de ces peuples. Sur toute la mer on n’entendait que ces cris : « Ô ma patrie, ô mon épouse trop longtemps agitée de cruels soucis, ces esclaves, ces trophées de la guerre, c’est à vous que nous les apportons ! » Soudain, assise sur un nuage épais, Vénus se précipite à travers les airs, et va chercher dans son ténébreux empire la vagabonde Renommée. Jupiter écarta des paisibles régions du ciel cette messagère du bien et du mal, cet épouvantail des humains. Elle a sa demeure dans la région située au-dessous des nuages ; (2, 120) et, n’appartenant ni à l’enfer ni au ciel, elle fatigue la terre de sa voix importune. On méprise d’abord ses bruits audacieux, puis on les répète ; bientôt on s’en émeut, et toutes les cités en sont ébranlées.

Tel est l’instrument que Vénus cherche et veut pour l’exécution de ses criminelles vengeances. La Renommée la voit la première : impatiente, elle accourt avant même d’être appelée ; elle apprête ses cent bouches, elle dresse ses oreilles. Vénus l’enflamme encore et la stimule par ces paroles : « Va, cours, jeune fille ; descends dans l’île de Lemnos ; mets-y le trouble dans toutes les familles ; sois telle qu’on te voit quand tu annonces la guerre, exagérant le nombre des bataillons, des chevaux hennissants, des trompettes retentissantes. (2, 131) Dis qu’enchaînés par le luxe et par de honteuses amours,