Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/537

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lents leurs demeures, et l’écho des montagnes se tait, fatigué de leurs cris lamentables. Ainsi (3, 360) chaque année règne le silence autour de Memphis et sur les bords du Nil, lorsqu’au milieu du printemps les oiseaux du Nord revolent vers leur patrie.

Mais ni ce jour, ni la nuit suivante, ne délivrent les Argonautes de l’affreuse image du sang qu’ils ont versé. Au double appel du Zéphyre, ils restent sans ardeur, sans espoir ; leur courage est glacé par les remords. Ils pensent n’avoir pas assez pleuré, assez expié leur crime ; ils sont froids au souvenir de leur patrie, de la gloire qui les attend ; il trouvent du charme à s’abandonner à une lâche douleur. (3, 369) Jason lui-même, bien qu’il soit du devoir d’un chef de corriger la rigueur des événements, et de cacher sa tristesse sous un front serein, se plaît à répandre et à laisser voir ses larmes. Tirant alors Mopsus à l’écart : « Quel est, lui dit-il, le mal qui nous consume ? et quelle est la volonté des dieux ? Cette stupeur est-elle un arrêt du destin ? ou ce retard est-il l’œuvre de notre seule faiblesse ? Pourquoi cet oubli de nos foyers, de notre renommée ? pourquoi cette molle langueur qui nous oppresse, et quelle en sera la fin ? »

Mopsus lève les yeux au ciel, et répond : « Je vais vous révéler la cause véritable de tous nos maux. Quoique la destinée ait imposé à notre âme, émanation du feu céleste, la loi rigoureuse d’habiter pour un temps des corps mortels, (3, 381) il n’en est pas moins impie de briser par le fer les liens qui l’y retiennent, et d’en hâter ainsi le retour à sa source divine. Tout ne meurt pas, tout n’est pas anéanti avec nous ; le ressentiment survit dans les mânes ainsi que la douleur ; et lorsqu’ils arrivent au pied du trône de Jupiter, qu’ils s’y plaignent du meurtre sacrilège dont ils furent les victimes, les portes de l’enfer s’ouvrent de nouveau derrière eux : ils peuvent les franchir, accompagnés d’une des Euménides, poursuivre à travers les terres et les mers leurs meurtriers, et jeter dans leurs cœurs l’épouvante et le remords. (3, 391) Pour ceux qui, poussés par un aveugle destin, ont innocemment trempé leurs mains dans le sang, leur faute étant plus légère, ils en trouvent le châtiment dans leur propre conscience. Le repentir vient troubler leur repos, affaiblir leur courage, leur arracher des larmes ; ils sont tremblants, abattus et plongés dans la stupeur. Telle est notre situation ; ma tâche est d’y remédier. Je me souviens d’avoir connu jadis, près des bords ténébreux du Styx, un pays habité par les Cimmériens, et toujours enveloppé des ombres de la nuit ; pays ignoré des dieux mêmes,(3, 400) dont le char du Soleil n’approche jamais, où toutes les saisons sont confondues, dont les bois sont sans échos et le feuillage immobile, et où les zéphyrs printaniers ne soufflent jamais. Là est une caverne qui sert de passage aux ombres, où l’Océan s’engouffre avec fracas, où de longs silences succèdent à des voix soudaines, et qui conduit à de vastes et effrayantes solitudes. Là, Céléné, vêtu d’une robe noire, une épée à la main, purifie les coupables involontaires et efface leurs crimes, en récitant des