Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/539

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Mopsus alors commande aux Argonautes de se rembarquer, (3, 460) sans tourner leurs regards vers la terre, sans se rappeler que leurs mains n’y furent que les instruments du Destin. On se hâte ; on dépose ses armes, on replace les bancs ; les rames s’ébranlent à la fois ; de joyeux cris en accompagnent les mouvements cadencés. Comme on voit, aux sommets des monts Cérauniens, reparaître tout brillants de clarté les rocs et les forêts, quand Jupiter a dispersé les nuages et que l'éther a recouvré sa pureté ; ainsi renaît la confiance aux cœurs des Argonautes. Le pilote lutte contre l’ébranlement causé par les rames, et chancelle sur le gouvernail ; (3, 470) les défis partent d’un banc à l’autre. C’est d’abord Eurytus qui s’est dégagé de son manteau, puis Idas qui se joue des railleries de Talaüs. Tous ensuite se provoquent à l’envi, se penchent avec efforts, soulèvent le flot, et tout haletants le renvoient vers la poupe. Alors Hercule gaiement : « Qui de vous en soulèverait autant ? » Il dit, se dresse de toute sa hauteur sur sa rame et l’appuie contre sa poitrine ; la rame trompe son effort et se brise. Il tombe à la renverse sur Talaüs, sur Éribotès, sur Amphion qui, par son éloignement, se croyait à l’abri de la chute, (3, 480) et va frapper de la tête le banc d'Iphitus.

Phébus avait atteint le point le plus élevé du ciel, et raccourci les ombres. Le navire allant plus lentement depuis qu’Hercule était inactif, Tiphys aborde au rivage voisin, au pied des montagnes de la Mysie. Aussitôt Hercule se dirige vers les bois qui couronnent leurs sommets ; Hylas est à ses côtés, qui le force de ralentir sa marche.

À peine, du haut de l’Olympe, Junon voit Hercule s’éloigner du vaisseau, qu’elle juge le moment favorable de le persécuter. Elle cherche d’abord à tromper Pallas, (3, 490) comme elle propice aux Argonautes, et à la distraire de ce frère chéri que la déesse guidait elle-même pour qu’il fût plus tôt de retour. « Chassé, lui dit-elle, par la faction des grands et par son frère Éétès, (vous savez si cet outrage fut mérité !) Persès revient, appuyé de forces barbares et d’une armée d’Hyrcaniens. Éétès s’est concilié les rois scythes, à l’un desquels il a fiancé sa fille ; et Stirus, qui doit être son gendre, lui amène d’Albanie de nombreux bataillons. Terrible sera la guerre ! Déjà Mars pousse au combat ses coursiers : voyez quel nuage immense s’élève du côté du nord, (3, 500) et tient suspendue la tempête ? Partez donc ; prenez les devants ; et quand Persès aura passé le Phase, que ses troupes seront sous les murs de la ville, dites-lui nos projets ; obtenez de lui, par votre habileté, vos conseils, des délais, une alliance ; assurez-le qu’une troupe de rois, enfants des dieux, vont venir à son aide ; qu’ils joindront leurs armes à ses armes, leurs guerriers à ses guerriers. »

Pallas reconnaît la fourbe et la haine de la marâtre, sous la douceur qu’affecte Junon sur son visage. Elle obéit pourtant, et vole vers le Phase.

Junon pousse un soupir et rompt enfin le silence : (3, 510) « La voilà, cette tête indomptable et qui