Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/56

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allument le flambeau des sens qui veillent à la garde des êtres.

Les êtres sont-ils frappés plus fort que ne le peut endurer leur nature, le coup les abat aussitôt, et bouleverse les organes de leur âme : les éléments sont arrachés de leur place, le mouvement vital expire ; (2, 949) si bien que la masse des atomes, ébranlée dans tous les membres, brise les nœuds de la vie, la détache du corps, et la rejette par toutes les issues. En effet, que pouvons-nous attendre du choc, et que fera-t-il, à moins de tout dissiper et de tout rompre ?

Souvent aussi, lorsque le coup a moins de violence, le mouvement harmonieux de la vie triomphe par un dernier effort : il dompte la matière que soulève le choc, il apaise ses désordres, il rétablit son cours, il arrête le mouvement destructeur déjà maître du corps, et rallume les sens à demi éteints. (2, 960) Car est-il autre chose qui ranime le souffle de la vie chez les êtres quand ils sont aux portes de la mort, et qui les empêche de suivre leur penchant à la ruine ?

D’ailleurs, on souffre quand les atomes de matières, tourmentés par un choc au fond des entrailles ou des membres, se déplacent ; et quand ils retournent à leur poste, la douce volupté les accompagne. Tu peux en conclure que les éléments échappent aux atteintes du mal, et ne recueillent en eux-mêmes aucun plaisir ; (2, 969) car ils ne sont point un assemblage de ces corps élémentaires, dont les bouleversements puissent y semer la douleur ou la jouissance. La matière ne doit donc pas être sensible.

Quoi ! pour que les animaux sentent, il faut accorder le sentiment aux atomes ? Ainsi, les éléments propres à la race des hommes sont agités par le tremblement du rire ; la rosée des pleurs baigne leur visage, leurs joues ; ils sont habiles à parler sur la substance des êtres, et ils cherchent à voir leur propre base. (2, 980) Car, puisque ces atomes ressemblent à des hommes, il leur faut aussi des corps élémentaires : autre corps, autres germes ; et ainsi de suite, sans que tu oses jamais interrompre la chaîne. Je te suivrai sans relâche, pour imposer, à tout être que tu auras doué de la parole, du rire, de la sagesse, des atomes doués de même. Mais si nous ne voyons là que des idées folles et le comble de la sottise ; si on peut rire sans atomes qui rient ; si on peut raisonner avec sagesse, parler avec éloquence, sans atomes éloquents ni sages, pourquoi les êtres qui sentent ne seraient-ils pas également (2, 990) formés par un mélange de corps insensibles ?

Enfin, nous sommes tous nés du ciel ; nous avons tous le ciel pour père : du ciel tombent les eaux pures ; et quand les gouttes pénètrent au sein de la terre bienfaisante, cette mère féconde des êtres, elle produit les grasses moissons, les arbres fertiles, la race des hommes ; elle pro-