leur dit à tous qu’ils auront aussi leur jour.
Au milieu de ces larmes et de cette lugubre cérémonie, celui qui avait la conduite et le commandement du vaisseau, Tiphys, est atteint d’un mal si violent, que tous, frappés de terreur, poussent au ciel ces cris lamentables : « Ô toi dont l’arc est si redoutable, Apollon, tourne enfin sur nous un regard de pitié ; sauve ses jours ; rends-nous cette tête si chère, s’il est vrai que tu prennes quelque souci d’une entreprise dont le succès, plus incertain que jamais, (5, 20) dépend maintenant du salut d’un seul. »
Mais leurs prières sont le jouet des vents, et les Destins sont inflexibles. Tels, pleurant leur père menacé d’une fin prématurée, de jeunes enfants éperdus supplient les dieux de conserver à leur faiblesse un appui qui leur est nécessaire encore : tels les compagnons de Tiphys, à son heure suprême, demandent que sa vie soit sauvée plutôt que la leur, cependant que le froid de la mort l’envahit, et que l’âme d’Idmon, récemment échappée, voltige devant ses yeux. Ils veulent en vain, à force de cris, retarder sa mort et arrêter son dernier soupir ; ils cèdent enfin, livrant au bûcher ses membres roidis, (5, 30) et au feu l’inutile tribut de leurs larmes et de leurs présents. Bientôt les offrandes ont grossi l’appareil funéraire.
Quand la fatigue eut suspendu leurs embrassements et que la flamme pétilla, il leur sembla voir le vaisseau même brûler et s’engloutir au milieu des eaux avec ses passagers. Désespéré, à l’aspect de ces deux bûchers qui dévoraient les restes de ses deux compagnons, Jason s’écrie en gémissant : « Quelle est donc cette animosité, ce châtiment imprévu des dieux ? Sont-ce nos travaux qui les ont provoqués ? Quoi ! deux morts à la fois sur cette terre amie ! (5, 40) Sommes-nous déjà trop nombreux ? Ou le sort me ravit mes compagnons, ou moi-même, entraîné par les implacables Furies, je les abandonne. Tiphys, où es-tu ? où es-tu, Idmon, révélateur de l’avenir ? Et celui qui fut égal à toutes les épreuves que lui imposa sa marâtre, où est-il ? Sans toi, Tiphys, pourrons-nous continuer notre route ? Ne te verrai-je plus observer du haut de la poupe le groupe des Pléiades et les Ourses, nos guides au sein des nuits ? À qui lègues-tu ta nef chérie, ta connaissance des astres ? Qui calmera les insomnies de mon père Éson ? Est-ce là le prix de tant de veilles, (5, 50) et de ces alarmes trop vives que tu ressentais en approchant de la Colchide ? Désormais qu’ils s’éloignent de nous et le Phase et Colchos ! Cependant, si les ombres ne sont pas insensibles, que la tienne, prévoyant les tempêtes, soit le conseil de ton successeur au gouvernail. » Ainsi parlait Jason. Le feu des bûchers s’éteint, et les ossements seuls apparaissent. « Que du moins, dit-il encore, sur cette terre étrangère vos mânes aient la consolation de n’être point séparés ; que le même tombeau renferme vos corps, la même urne vos cendres, et que vous trouviez dans la mort les liens qui vous unissaient dans la vie ! » (5, 60) Aussitôt on mêle ensemble ces restes si chers et si