Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/586

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s’y gorge de carnage et y assouvit sa faim, quittant tour à tour et reprenant ses victimes ; ainsi Jason promenant de l’un à l’autre, sans choix, sans préférence, sa rage dévastatrice, frappe à la fois de l’épée ou de la lance tous ceux qui l’approchent, et dont le nombre diminue à chacun de ses coups. Il immole le terrible Hébrus à l’ondoyante chevelure, et Prion de Gétie ; il fait voler la tête et les bras d’Auchus, et l’envoie rouler lui-même sur le sol.

Colaxès, fils de Jupiter, touche à sa dernière heure. Le père des dieux enveloppe le ciel d’un nuage de tristesse, et, dans sa colère impuissante, exhale ainsi ses plaintes : « Quoi ! pour soustraire mon fils à la mort, n’oserai-je user de mon pouvoir suprême ? Neptune pleure encore Amycus ; tous les dieux pleurent aussi leurs fils, ou les pleureront un jour. Eh bien, que la destinée soit égale pour tous ! Ce que je me refuse à moi-même, je ne saurais l’accorder à d’autres. » Et pour illustrer du moins le dernier jour de son fils, il lui inspire un courage extraordinaire. Colaxès vole dans la mêlée, enfonce des bataillons, sème au loin les funérailles. Tel un orage, sorti des flancs de l’arc-en-ciel, entraînant après soi les rochers, les forêts, les édifices, heurte tout à coup le sommet d’une montagne, s’y brise, et finit par s’épancher peu à peu en fleuve inoffensif ; tel, avant de mourir, se révèle le fils de Jupiter. Il tue le vaillant Hypétaon, Gésithoüs, Arinès et Olbus. Blessé lui-même, démonté et combattant à pied, il perce de sa lance Après et Tydrus le Phasien ; celui-ci, né près des sources du Phase, de Caucasus qui gardait, suivant la coutume antique, les troupeaux de son père, avait été ainsi surnommé par ses parents, en l’honneur du fleuve auquel il était consacré et pour qui croissait inutilement sa chevelure. Colaxès frappait toujours ; mais la Parque ennemie rompt sa trame, et Jason parait en vainqueur. Colaxès lui crie d’une voix terrible : « Malheureux, vous n’êtes donc venus en Scythie que pour y servir de pâture à nos chiens et à nos vautours ? » Et, saisissant un quartier de roc, sorte d’arme en usage dans ces temps grossiers et pour ces bras si vigoureux, il le soulève de terre et le lance. Junon détourne le coup qui terrasse Monésus, soldat obscur et peu regretté. Mais le coup qui menaçait Colaxès, Jupiter ne l’a point conjuré : le javelot de Jason traverse le bouclier et la poitrine du guerrier. Celui-ci tombe dans son sang. Jason accourt, et par des railleries ajoute encore à l’amertume de son trépas. Il s’élance ensuite, et marche aux Alains, qui déjà ne le connaissent que trop.

Médée suit Jason et le dévore des yeux ; l’Amour ne permet pas qu’il lui échappe un seul instant. Déjà elle a moins de plaisir à regarder le combat ; elle se reproche ses craintes, et ces alarmes dont elle ignore la cause ; elle se demande si sa sœur est bien sincère ; et, n’osant pas croire que ces traits ne soient pas les siens, elle cède