Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/59

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mort aux innocents qui ne la méritent pas ?

Après la naissance du monde [1105], dès que se leva le jour où furent engendrés la terre, les ondes, le soleil, de nombreux atomes, ajoutés au dehors, enveloppèrent et enrichirent la masse. Ces germes émanaient du grand Tout qui les amoncela pour accroître les eaux, les terres ; pour élargir les palais du ciel ; pour hausser leurs voûtes, (2, 1110) les écarter du sol, et reculer au loin la cime des airs. Car ils jaillissent de toutes parts sous mille chocs qui les distribuent aux corps analogues, et les unissent à leur espèce : l’eau attire l’eau, la terre se nourrit de substance terrestre, le feu engendre le feu, l’air alimente l’air. Achevant enfin son œuvre, la Nature conduit les êtres au terme de leur croissance ; ce qui arrive, quand le suc vital introduit dans les pores égale le fluide qui se perd : (2, 1120) alors les progrès de la vie cessent, et la nature puissante met un frein aux envahissements des corps.

Ainsi donc ceux que tu vois atteindre par un développement heureux et insensible le dernier échelon de la maturité engloutissent plus d’atomes qu’ils n’en rejettent. Les aliments y trouvent partout des voies faciles ; les pores ne sont pas assez larges pour que les pertes abondent, et la masse dépense moins que sa nourriture ne lui donne. Sans doute de nombreux atomes découlent et se retirent des êtres, il faut en convenir ; mais un nombre plus grand encore les remplace, tant que les êtres ne sont pas au faite de leur croissance. (2, 1130) Car alors ils dépérissent : les forces de la maturité se brisent peu à peu, et les corps ruinés tournent à la décrépitude. Plus ils ont de volume, plus ils occupent de place, quand ils cessent de croître, plus ils se dissipent de tous côtés, en tous sens, et plus ils jettent de matière. Les aliments circulent avec peine dans les canaux de la vie. Des atomes écumants débordent à larges flots, et ils épuisent la Nature, qui ne suffit pas à nourrir leurs pertes, à réparer leurs ruines. Il est donc juste que la mort vienne : les masses appauvries succombent à des attaques étrangères, (2, 1140) parce que leur vieillesse manque de nourriture, parce que les éléments extérieurs ne cessent de battre, de tourmenter, et de rompre les corps dont ils viennent toujours à bout.

Un jour aussi les vastes remparts du monde seront emportés [1145], abattus, et tomberont en poudre. Car il faut que les aliments renouvellent, que les aliments assujettissent, que les aliments soutiennent tout assemblage. Mais en vain nourrissent-ils le monde : ses pores étroits contiennent trop peu de sucs, et la Nature ne peut rassasier sa faim immense.

(2, 1150) Déjà commence la décrépitude des âges. La terre fatiguée produit à peine des animaux chétifs, elle qui créa toutes les espèces, elle qui enfanta jadis des monstres énormes. Je ne crois pas, en effet, que les êtres soient descendus par une chaîne d’or des hauteurs du ciel dans nos campagnes [1155] ; ou que la mer et ses ondes, qui battent