Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/591

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malgré son impatience, franchir le seuil du palais, elle voudrait qu’il marchât tout entier sur les pas de Jason. Telle Io, arrivant hors d’haleine au bord de la mer, avance un pied dans l’eau, puis le retire, quand Érinnys la pousse dans les flots au delà desquels l’appelaient les femmes de l’Égypte : telle Médée marche au hasard, se penche près de la porte ouverte encore, comme si elle attendait que son père s’adoucît et rappelât les Argonautes ; elle se fatigue à chercher Jason. Tantôt elle reste seule à pleurer sur sa couche, tantôt se réfugie dans les bras de sa sœur, veut lui parler et se tait : puis elle s’éloigne un peu, et lui demande l’histoire de l’arrivée de Phrixus en Colchide, et de Circé traînée par des dragons ailés. Quelquefois, reposant ses regards sur ses aimables compagnes, elle sent que leurs plaisirs ne lui suffisent plus ; elle vient ensuite plus caressante retrouver ses parents, et baise avec transport la main de son père. Ainsi, commensal habituel d’un maître dont elle partage aussi la couche, une chienne, atteinte déjà de tous les symptômes de la rage, parcourt, malade et plaintive, la maison qu’elle va bientôt fuir. Enfin, la jeune fille se gourmande elle-même. « Allons, insensée, se dit-elle, nourris-toi de cet amer souvenir ; inquiète-toi d’un homme qui te fuit, qui peut-être est déjà bien loin ; qui, arrivé dans sa patrie, aura même oublié ton nom. Que m’importe après tout qu’il triomphe ou qu’il succombe, et que sa chute afflige et ébranle toute la Grèce ? Pourtant, s’il devait périr, plût aux dieux que ce fût loin d’ici, loin de ce pays, mais dans les États et par les ordres de quelque tyran inconnu ! Car il est issu du sang des dieux ; il est parent, dit-on, de Phrixus, qui est aussi le nôtre ; et j’ai vu ma soeur s’attendrir sur son sort ; enfin, c’est poussé par des ordres cruels qu’il traîne ainsi sa misère sur les ondes. Qu’il parte donc, s’il le veut, et comme il le veut ; qu’il ignore seulement les vœux que je fais pour lui, et ne haïsse plus mon père ! »

En achevant ces mots, elle se laisse tomber de tout son poids sur son lit, attendant que le sommeil ait pitié de ses angoisses. Mais, plus terrible que jamais, le sommeil la tourmente et l’agite : il lui montre ici son hôte prosterné à ses pieds, et là son père. Elle s’éveille épouvantée ; elle s’élance de son lit, et, au lieu des villes de la Thessalie à travers lesquelles elle se croyait entraînée, elle reconnaît ses pénates, ses esclaves qui l’entourent. Tel Oreste, agité par les Furies et par d’aveugles terreurs, saisit une épée, frappe sur ces ministres vengeurs de son impitoyable mère, croit sentir leurs serpents, leurs fouets qui le déchirent, le sang de l’incestueuse Lacédémonienne qui irrite sa soif du meurtre, et tombe enfin, las de ce combat imaginaire, sur le sein de la malheureuse Électre.

Junon voyant Médée, encore incertaine, résister aux fureurs de l’amour, la passion languir à mesure que la pudeur se réveille, et cette âme se roidir contre le mal, ne songe plus à prendre la figure et la voix de Chalciope ; elle s’élève dans