Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/602

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substances vénéneuses que son époux devra toujours redouter, elle en imprègne sa robe, son collier, et s’arme aussi d’une épée. Alors, comme aiguillonnée par les fouets des Euménides, elle s’élance, pareille à Ino quand, éperdue et oubliant son fils qu’elle tient dans ses bras, elle se précipite dans la mer, tandis que son époux sur la rive frémit d’une rage inutile. Poursuivi par mille inquiétudes, Jason l’avait devancée dans la forêt. Là, son front rayonnant de jeunesse éclairait au loin la sainte obscurité du bocage. Tel, séparé de ses compagnons dispersés çà et là, le chasseur de Latmus repose sous les frais ombrages, digne objet de l’amour de Phébé, qui voile son croissant lumineux et qui vient le visiter : tel Jason, attendant son amante non moins belle, remplit la forêt du doux éclat de sa figure radieuse. Tout à coup, semblable à la colombe qui, déjà enveloppée dans l’ombre immense des ailes de l’autour, tombe éperdue sur le passant, Médée, saisie d’effroi, se jette sur le sein de Jason. Le héros la reçoit dans ses bras caressants : « Ô vous, lui dit-il, bientôt l’honneur et la gloire de mes pénates, vierge qui méritiez à vous seule que j’entreprisse un si long voyage, que m’importe désormais la toison ? il suffit que je vous emmène sur mon navire. Pourtant, puisque vous le pouvez, ajoutez ce présent à ceux dont vous m’avez déjà comblé ; un ordre impérieux exige que j’emporte cette riche dépouille, et cette gloire n’intéresse pas moins mes compagnons. »

Il dit, et il baise les mains de Médée d’un air suppliant. « Pour vous, dit-elle alors au milieu de nouveaux sanglots, j’abandonne mon rang, mon pays, ma famille ; déjà ce n’est plus en reine que je parle ; je renonce à mon sceptre, et je vous obéis. Gardez à l’amante fugitive la foi que le premier (ne l’oubliez pas ) vous lui avez jurée. Les dieux nous entendent et ces astres nous voient. Avec vous je traverserai les mers, avec vous le monde entier, pourvu qu’un jour je ne sois pas forcée de revenir en ces lieux, et de reparaître aux yeux de mon père. C’est tout ce que je demande aux dieux, c’est la seule prière que je vous fasse. »

Elle dit, et court comme une insensée, loin des chemins frayés. Jason saisi de pitié ne la quitte pas. Soudain il voit jaillir du sein des ténèbres une flamme immense, à l’éclat sinistre. « Quelle est à l’horizon cette lueur rougeâtre, cette clarté lugubre ? » dit-il effrayé. « Ce sont les yeux, répond Médée, c’est le farouche regard du dragon : ces éclairs partent de sa crête. Il ne voit que moi maintenant, il m’appelle, suivant sa coutume, et sa langue caressante réclame sa nourriture. Eh bien ! voulez-vous qu'il vous aperçoive, et disputer ensuite la toison à sa vigilance, ou que je le plonge dans le sommeil et vous le livre après l’avoir dompté moi-même ? » Jason ne répond rien, tant l’effroi le gagne, aussi bien que Médée.

Déjà celle-ci, les cheveux hérissés, les mains tendues vers les astres, et récitant des vers sur un rhythme barbare, invoquait le Sommeil. « Dieu tout puissant, disait-elle, je t’appelle de toutes