Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/65

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les os et la moelle, soit que le plaisir ou que la fièvre du mal les agite. Toutefois, il est impossible que le mal y pénètre, que les souffrances aiguës percent les os, sans bouleverser tout au point que la vie n’ait plus de refuge, et que les débris de l’âme s’échappent par toutes les issues. Mais habituellement ces douloureuses agitations expirent à la surface : voilà ce qui permet aux hommes de conserver la vie.

(3, 259) Maintenant que je veux expliquer le mélange des quatre natures, et cet arrangement harmonieux qui les anime, mes efforts échouent contre la pauvreté de notre langue. Néanmoins je vais, autant que je le puis, effleurer ces matières.

Leurs atomes se mêlent, se croisent sous des impulsions réciproques, de façon que nul ne puisse se détacher des autres, et isoler sa puissance. Ce sont mille forces que meut un corps unique. De même que, chez un être quelconque, tu distingues le parfum, la couleur, le goût, quoique ces trois éléments forment un seul assemblage ; (3, 270) de même la chaleur, l’air et le souffle, mystérieux agent, se combinent et font une même substance, joints à cette force mobile qui leur communique le germe du mouvement, et à qui nos entrailles doivent les premiers tressaillements de la vie. Car elle se cache tout au fond des êtres, loin des yeux, et le corps ne possède rien qui soit mieux enfoui : en un mot, c’est l’âme des âmes. La double puissance des âmes et des esprits, mêlée dans tous les organes, est invisible, parce que ses éléments sont fins et rares : (3, 280) de même la petitesse des atomes nous dérobe cette force sans nom, âme des âmes, qui règne sur le corps entier. Il faut que le souffle, la chaleur, et l’air, se confondent ainsi pour agir dans les membres, et que chacun soit inférieur aux autres, ou les domine : sinon, ils ne peuvent former un seul tout ; leur action isolée ne fait que détruire le sentiment, et la vie se rompt avec leur assemblage.

(3, 289) Aussi est-ce la chaleur qui envahit les âmes, quand elles bouillonnent de colère, et que la flamme jaillit des yeux étincelants. Aussi est-ce le souffle glacé qui accompagne la peur, et lui sert à jeter le frisson dans les membres ou les nerfs qui tressaillent. Aussi un air tempéré forme-t-il ces natures qui joignent le calme du cœur à la sérénité du visage. Au contraire, le feu abonde chez les êtres au cœur vif, et que tout irrite, que tout enflamme ; surtout chez les lions à la fougue terrible : leurs poitrines frémissantes éclatent à force de rugir, et ne peuvent emprisonner les flots de leur colère. (3, 300) Les froides âmes des cerfs contiennent plus de vent : un souffle froid et rapide traverse leurs entrailles, et imprime le tremblement aux membres. Un air plus doux anime la substance des bœufs ; ils ne connaissent ni les feux ardents de la colère, ni ses fumées qui sont comme la nuit des âmes, ni les traits de la peur qui glacent et engourdissent : ils tiennent le milieu entre les cerfs et les lions farouches.

Il en est ainsi des hommes. La culture polit