Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/76

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les tourments de la peur, la fatigue des inquiétudes ; et une faute passée les ronge. (3, 840) Ajoute ce délire qui est propre aux âmes, et leur oubli des choses. Ajoute ces léthargies, dont les sombres vagues nous engloutissent.

Qu’est-ce donc que la mort ? a-t-elle rien qui touche les hommes, quand ils savent leur âme de nature périssable ? Jadis, avant de naître, nous ne sentions aucune blessure de voir les Carthaginois inonder et battre nos murailles, alors que tous les êtres, au retentissement des armes qui bouleversaient le monde, frissonnèrent épouvantés sous la haute voûte des cieux, et furent incertains du peuple chez qui allait tomber le souverain empire des hommes sur la terre et sur l’onde ! (3, 850) La même paix accompagne le néant, après le divorce du corps et de l’âme, qui forment le tout harmonieux de la vie. Non, il ne saurait y avoir pour nous, qui aurons cessé d’être, ni événement, ni impression sensible : non, la terre dût-elle se mêler à la mer, et la mer au ciel !

Admettons que les esprits, les âmes demeurent sensibles, bien que leur essence vive soit arrachée du corps : que nous en revient-il, à nous qui ne faisons une masse vivante que par l’ajustement et l’alliance du corps et de l’âme ? (3, 859) Le temps peut ramasser nos atomes que la mort éparpille, rétablir leur assemblage, leur ordre primitif, et nous rendre la douce lumière de la vie, sans que ce bienfait nous atteigne : la chaîne de nos souvenirs une fois rompue, nous ne ressentons ni intérêt pour notre vieil être, ni inquiétude pour ceux que les âges tireront encore de nos ruines. Car lorsque tu envisages le temps immense qui comble les abîmes du passé, et ensuite les agitations si variées de la matière, tu dois te figurer sans peine (3, 870) que les germes ont eu mille fois les mêmes arrangements que de nos jours : et pourtant la mémoire ne peut rattacher le fil de ces existences, qui sont entrecoupées de mille courses aventureuses et étrangères au mouvement vital.

Un homme réservé à un sort amer et misérable doit conserver la vie, pour que le malheur ait prise sur elle. Si donc il y échappe par la mort, et si cet homme, sujet aux infortunes, ne peut redevenir un assemblage tel que nous le sommes, à cause de son existence passée, tu vois que la mort nous affranchit de toute crainte. (3, 880) Le mal atteint-il ceux qui ne sont pas ? Est-on autrement que si on ne fût jamais né, quand on échange sa vie mourante pour une mort immortelle ?

Aussi, lorsque tu entends un homme se plaindre de ce que son propre corps, une fois éteint, soit abandonné aux vers, englouti par la flamme, dévoré par les bêtes, sache-le bien, ces plaintes sont un faux écho de son âme, que des inquiétudes secrètes aiguillonnent. Il a beau se défendre de croire que la mort épargne les sens. Oui, je doute que son cœur tienne la promesse de ses lèvres, (3, 890) et se retranche, se déracine tout entier de la vie, sans y oublier encore quelques restes de lui-même. Car quiconque se représente le jour où les oiseaux et les bêtes le déchireront, au sein de