Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/88

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rien ne forme ce que nous avons coutume de nommer ombre, sinon un air privé de jour. (4, 370) Oui, la lumière du soleil abandonne tour à tour chaque point du sol, où notre marche lui fait obstacle ; puis, elle revient emplir la place que nous avons quittée. Voilà comment il se fait que les mêmes ombres paraissent errer toujours à la suite du corps. En effet, puisque les rayons étincelants ne cessent de se répandre, pour se dissiper ensuite, semblables à une laine dévidée dans le feu, il est naturel que la terre soit aussitôt vide que pleine de ce flot lumineux, qui balaye les sombres nuages.

(4, 380) Et pourtant je suis loin de reconnaître que les yeux se trompent. Il ne leur appartient que de voir où sont les lumières, les ombres. Mais ces lumières sont-elles toujours les mêmes, ou non ? Ces ombres passent-elles d’un lieu à un autre ? sont-elles plutôt ce que nous avons dit ? Il faut que ton intelligence, que ta raison en décide. Les yeux ne peuvent approfondir la nature des choses : ainsi, ne va pas leur imputer la faute du jugement.

Le vaisseau qui nous entraîne dans sa course paraît immobile ; tandis que ceux qui demeurent à la rade, nous croyons les voir passer, (4, 390) et voir fuir à la poupe les collines, les plaines que rase notre vaisseau, emporté sur les ailes de ses voiles.

Il semble que tous les astres dorment attachés à la voûte des airs, et tous obéissent à un mouvement perpétuel : car ils se lèvent, et ils gagnent un coucher lointain, après que leur globe resplendissant a mesuré les cieux. Le soleil et la lune partagent aussi leur immobilité apparente, quoique les faits eux-mêmes en attestent la marche.

Entre ces montagnes qui apparaissent au loin, jaillissant des gouffres humides, une flotte s’ouvrirait un libre passage : (4, 400) et pourtant leurs cimes enchaînées n’offrent à l’œil qu’une île immense.

Les enfants voient tourbillonner les salles et bondir les colonnes, quand ils cessent de tourner sur eux-mêmes : illusion si forte, qu’ils ont peine à croire que tout l’édifice ne les menace pas d’un écroulement.

Sitôt que la nature se met à faire jaillir la pourpre de ses feux tremblants, et la dresse sur les montagnes ; ces montagnes, on dirait que le soleil les couronne, les touche, les brûle lui-même de son flambeau : elles dont nous éloignent à peine deux mille jets d’arc, (4, 410) souvent même cinq cents courses de javelots ! Mais, entre le soleil et elles, de vastes océans se déploient sous les vastes campagnes des airs, et il y a un intervalle de mille régions, que mille peuples occupent avec mille races de bêtes sauvages.

Un amas d’eau, profond d’un seul pouce, vient-il à séjourner entre les pavés de nos rues ? il laisse nos yeux se précipiter dans le sol, avec un essor aussi vaste que les gouffres du ciel ouverts sur nos têtes ; et il nous offre, sous la terre, le merveilleux spectacle des nuages, du firmament, et du corps que ses profondeurs recèlent.

(4, 421) Passes-tu un fleuve ? arrête la fougue de ton