Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/97

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vir ; mais, une fois né, chacun y trouve son emploi. Voyait-on, avant que le flambeau des yeux fût allumé ? discourait-on, avant de posséder une langue ? Non, ce fut elle qui vint longtemps avant (4, 840) la parole ; les oreilles existaient déjà, que nul retentissement ne se faisait entendre ; tous les membres enfin ont dû, ce me semble, précéder leur usage : donc, il leur est impossible de croître pour notre service.

Au contraire, ces batailles où la main seule déchirait les corps, ensanglantait les membres, furent de beaucoup antérieures au vol des flèches étincelantes ; et la Nature poussa les hommes à éviter les blessures, avant que l’art n’eût ajouté au bras gauche le rempart d’un bouclier.

Abandonner le corps fatigué au sommeil, (4, 850) est chose bien autrement vieille que les molles étoffes de nos lits ; et on étancha la soif, avant que la coupe ne prit naissance.

Oui, on peut admettre que nous ayons imaginé, en vue de leur usage, toutes les choses suggérées par les enseignements de la vie pratique. Mais les autres, qui ont commencé par naître, nous ont découvert ensuite leur utilité ; et parmi elles nous distinguons surtout les organes, les membres. Je le répète donc, il est impossible que tu oses les croire formés à titre de serviteurs utiles.

(4, 859) Pourquoi nous étonner encore si la nature physique de tout animal est avide de nourriture ? Ne sait-on pas que les assemblages perdent mille flots de matière par mille débordements ? Les animaux surtout, eux que le mouvement agite. Les sueurs arrachent et emportent une foule de germes profondément enfouis ; une foule sont exhalés par nos bouches haletantes de fatigue. Ces pertes appauvrissent le corps, et minent toute la substance des êtres : épuisement que la douleur accompagne. Voilà pourquoi ils absorbent la nourriture qui, éparpillée dans les vides, étaye les membres, ranime les forces, et (4, 870) comble le gouffre de la faim ouvert dans les muscles et les veines. De même, le breuvage circule dans tous les endroits qui implorent son humidité : ces mille tourbillons de vapeur chaude qui embrasent nos estomacs, un fluide bienfaisant les dissipe, les éteint comme du feu ; et il empêche leurs desséchantes ardeurs de consumer nos membres. Ainsi la soif haletante, balayée par ce flot, abandonne le corps ; ainsi on apaise le cri de la faim.

Mais comment se fait-il que nous puissions, à notre gré, nous jeter en avant, ou imprimer au corps un mouvement oblique ? (4, 880) quel agent a coutume de pousser une masse si lourde ? Je vais le dire : toi, écoute mes paroles.

Les apparences de la marche s’offrent d’abord à notre esprit qu’elles ébranlent, je l’ai dit, je le répète. La volonté agit alors ; car elle ne se met jamais à l’œuvre avant que les intelligences examinent ce qu’elles veulent, et ce premier aperçu est une image. Ainsi donc, une fois que la résolution de partir, de marcher, agite l’esprit, il frappe aussitôt la vive essence des âmes par toute